Pour un sonnet, épîtres inédites de Du Bellay
De Rome, le vingt-cinquième de juin
Mon cher ami,
Je t’assure que les errances que connut Ulysse sur le chemin d’Ithaque ou les épreuves que subit Jason avant de conquérir la Toison d’Or sont sans commune mesure avec les désagréments de mon exil à Rome. Du moins, ces héros, tout auréolés de leurs exploits, ont-ils eu le loisir de rentrer chez eux pour y finir paisiblement leurs jours. Quant à moi, je désespère de jamais retourner à Liré. Je donnerais tous les palais de Rome pour pouvoir m’abriter sous le toit de la modeste maison que j’ai héritée de mes ancêtres. La Loire vaut bien le Tibre et mon hameau natal, les collines sacrées de la Ville Eternelle. Je m’étiole à respirer l’air de la mer et j’aspire au doux climat de notre Anjou.
Les griottes sont-elles mûres ?
Ton Joachin
[Au bas du pli, le correspondant a ajouté ces mots, sans doute en prévision d’une réponse : pourquoi ne pas en faire un poème ? Même un modeste sonnet ?]
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De Rome, Fête de la Saint-Michel [29 septembre]
Mon cher ami
Crois-tu que j’aie l’humeur poétique et que ces confidences méritent l’honneur d’une mise en vers ? Ai-je dû te paraître pédant pour te suggérer une aussi étrange idée ! Les comparaisons que j’ai eu l’outrecuidance d’introduire dans le récit de ma modeste vie sont du plus mauvais goût. Seraient-elles plus acceptables si je les introduisais dans un poème ? Permets-moi d’en douter.
Je me réjouis de savoir que les fraisiers que je t’ai fait envoyer ont bien pris et ont orné tes plates-bandes de leurs belles fleurs blanches. Certains, par ici, en mangent les fruits, quand ils sont presque blets.
Ton Joachin
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[Non daté. Dans un feuillet volant qui avait dû être inclus dans un courrier, qui n’a pas été retrouvé] Va donc pour un sonnet
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[À suivre]