J’vas te cacher dans l’huche
Perrine était servante (bis)
chez monsieur le curé
digue donda dondaine
chez monsieur le curé
digue donda dondé.
On connait la suite (Je cite de mémoire) :
Son amant vint la vouère (bis) / Un soir après l’dîner. […]
Perrine, ô ma Perrine (bis) /J’voudrais bien t’biser. […]
Oh ! grand nigaud qu’t’es bête (bis) / Ça s’fait sans s’demander ! […]
V’la m’sieur l’curé qu’arrive (bis) / Où j’vas t’y bien t’cacher ? […]
J’vas t’y cacher dans l’huche (bis) / I’ n’saura point t’trouver. […]
Il y resta six s’maines (bis) / Elle l’avait oublié. […]
Au bout d’ces six semaines (bis) / Les rats l’avaient rouché[1]. […]
Ils avaient bouffé l’crâne (bis) / Et puis tous les doigts de pied. […]
On fit creuser son crâne (bis) / Pour faire un bénitier. […]
On fit monter ses jambes (bis) / Pour faire deux chandeliers. […]
Voilà la triste histoire (bis) / D’un jeune homme à marier. […]
Qu’allait trop voir les filles (bis) / Le soir après l’dîner. […]
J’ai longtemps cru que l’huche en question était la huche à pain. À la réflexion, l’interprétation ne tient pas car, à moins d’imaginer que la maison ait été abandonnée par ses habitants, une huche à pain ne reste pas fermée six semaines. La huche désigne aussi le coffre où l’on range le linge, mais cette interprétation ne tient pas non plus, pour les mêmes raisons que pour la huche à pain, et aussi parce que, même dans le cas d’une licence poétique poussée à l’extrême, le jeune homme n’aurait pu vivre caché tout ce temps à l’intérieur de la maison.
Il faut donc imaginer un lieu extérieur ou périphérique auquel le maître de maison a rarement accès. Par association d’idées, il m’est revenu un souvenir de lecture. Dans son roman Jeux interdits, François Boyer fait dormir Michel, le petit dernier de la famille paysanne qui accueille la petite orpheline, dans un grenier sordide visité en permanence par des rats. C’est d’ailleurs un rat qui réveille la petite Paulette après sa première nuit passée à la ferme.
C’est donc plus probablement dans cette direction qu’il faut chercher la signification de l’huche. Or, dans les parlers du Centre, en Berry comme en Touraine et en Vendômois (et je présume bien au-delà), on emploie « hucher » ou « gucher » (variantes phonétiques non limitatives) dans le sens de « se coucher », et « déhucher » ou « dégucher » dans celui de « se lever ». L’origine de ces termes est à chercher du côté du poulailler, où les poules « juchent » pour dormir, ou de la chasse, pace que le meilleur moment pour chasser le faisan est celui où il va se gucher (témoignage d’un chasseur chinonais).
Perrine pourrait donc se référer à un lieu de couchage situé hors d’atteinte de monsieur le curé, par exemple celui qui est réservé à des hommes ou des femmes de peine employés passagèrement. On peut aussi supposer que c’est là que Perrine elle-même couchait. La morale réprouvant qu’un prêtre pût fréquenter cette pièce, elle met ses habitants à l’abri de sa curiosité. Il ne faut pas exclure, cependant, une interprétation coquine, qui m’est suggérée par une anecdote survenue à la fin du 19ème siècle à Curçay-sur-Dive à moins que ce ne soit à Ranton (dans la Vienne, canton des Trois-Moutiers), que le grand-père Achille Pichon aimait à rapporter (je l’ai connu en 1963). Ayant eu vent que le curé partageait sa couche avec sa servante, les jeunes gens du village eurent la cruelle idée de cacher la pince à feu dans le lit de la belle, pour avoir le plaisir de l’entendre récriminer contre le mauvais plaisantin qui l’avait dérobée. Elle ne pouvait évidemment pas savoir que la pince était cachée dans sa couche puisqu’elle couchait ailleurs. Si Perrine avait, elle aussi, déserté sa chambre ou ce qui en tenait lieu pour une autre plus confortable, le jeune homme était à l’abri, à condition, bien entendu, qu’on ne l’y oubliât pas et qu’on ne l’abandonnât pas à l’appétit de ses redoutables colocataires.
Je remercie Daniel Schweitz, bibliothèque archiviste de l’académie de Touraine, ainsi que mesdames Fellrath et Zollinger, qui travaillent à l’établissement d’un glossaire du parler paysan de la Gâtine tourangelle et du Vendômois. Ce sont eux qui m’ont donné l’idée de cette note.
6 juin 2022
[1] Dans ma version, on disait « bouffé », ce qui ne manquait pas de me surprendre, parce que cette expression vulgaire choque dans le contexte de cette chanson paysanne. Mon ami Bernard Cassaigne me suggère « rouché » et ajoute : « J’ai vérifié et le verbe roucher existe. Il est gallo ou poitevin. Colette, de famille poitevine, l’a toujours compris. »