Formulette arithmétique
Dans les Œuvres complètes de Félix Arnaudin (Édition établie par Jacques Boisgontier et Lothaire Mabru, Parc Naturel des Landes de Gasogne , éditions confluences, 1996, T. II « Proverbes de la Grande-Lande »), une section est réservée aux « Formulettes numératives ou arithmétiques » (p. 390-392).
Voici celle qui répond le mieux à cette définition (je reproduis la graphie de l’édition) :
– Un é dus é tres é couate, / sét é oueyt é binte-couate, / binte couate é binte-cin, / sét é oueyt é nau é bin, / tan hén?. Rép. cén crante-dus.
– Un et deux et trois et quatre, / sept et huit et vingt-quatre, / vingt-quatre et vingt-cinq, / sept et huit et neuf et vingt, combien cela fait ?. Rép. cent-quarante-deux.
Elle m’a remis en mémoire une formulette espagnole que mon père m’avait apprise et qui présente certaines analogies avec celle-ci :
– Pan, pan y pan, pan, pan y medio, cuatro medios panes, tres panes y medio, ¿cuántos panes son?
– Pain, pain et pain, pain, pain et demi, quatre demi-pains, trois pains et demi, combien de pains cela fait-il ? Rép. onze pains.
L’opération est bien plus simple que l’exemple landais, pour peu qu’on « retienne » le premier demi (« pain et demi ») pour l’ajouter au dernier de la série (« et demi »), ce qui donne une unité supplémentaire.
J’ai eu la surprise de retrouver cette formulette sur internet, sous l’intitulé « adivinanza 6 » (devinette 6) comme si elle appartenait à une série. Malheureusement le site se contente de donner la réponse exacte sans proposer un historique, comme c’est souvent le cas sur la Toile. On en trouve une autre version, très proche mais plus difficile parce qu’elle ne donne pas un chiffre rond :
– Pan y pan y medio, dos panes y medio, cinco medios panes. ¿Cuántos panes son? Siete panes y medio.
– Pain, pain et demi, deux pains et demi, cinq demi-pains. Combien cela fait-il ? Rép. sept pains et demi.
J’ignore d’où mon père tenait cette formulette, lui qui n’était pas allé à l’école en Espagne. Du moins peut-on supposer qu’il savait compter sur ses doigts lorsqu’il l’a apprise.
Pour moi, si j’ai pu l’assimiler, c’est que j’avais des dispositions pour le calcul mental, faculté que nos maîtres d’école entretenaient par des exercices qui frisaient parfois la haute voltige, telles les fables de M. Saran, en CM2 :
Perrette s’en va au marché. Elle emporte 4 poulets à X francs le poulet, trois douzaines d’œufs à Y francs la douzaine, 5 kilos de carottes, douze choux, huit fromages blancs.. ainsi de suite. Elle rapporte 12 cotelettes de veau à X francs le kilo, 2 kilos d’oranges, deux pains de 4 livres, et un bouquet de roses… Combien lui reste-t-il ?
Nous écoutions attentivement cette énumération, les bras croisés, puis, au signal du maître, nous inscrivions le résultat sur l’ardoise, que nous brandissions au-dessus de nos têtes. Celui qui avait trouvé le chiffre exact recevait un « merle blanc », ce qui me permit de découvrir que les meilleures récompenses sont souvent symboliques.
Moi qui n’avais, pendant mon enfance, qu’une connaissance approximative de l’espagnol, juste assez pour comprendre ce que disaient mes parents, le fait d’avoir retenu cette comptine me laisse perplexe.
J’aurais tendance à penser que le jeu des répétitions et la structure rythmique de ce quatrain, bref sa dimension formelle, est ce qui a favorisé chez moi sa mémorisation.
Pan, pan y pan,
pan, pan y medio,
cuatro medios panes,
tres panes y medio.