Bernard Manciet sur scène

Bernard Manciet sur scène

Du 2 au 9 décembre 1996, le Festival d’automne à Paris avait programmé, au Théâtre Molière-Maison de la Poésie, rue Saint-Martin, un spectacle intitulé Bernard Manciet, poète de la Lande. J’ai assisté, le dimanche 8 décembre, pour la somme de 120 F, – le ticket que j’ai conservé en fait foi – au second des spectacles proposés, L’Enterrement à Sabres.

Je connaissais à peine le nom de Bernard Manciet et n’avait rien lu de lui. Ce n’est qu’après cette expérience que j’ai acquis son ouvrage Le triangle des Landes, publié en 1981 aux éditions Arthaud, que j’ai souvent relu depuis. Le dépliant du spectacle de la Maison de la Poésie m’a donc servi d’introduction à la connaissance du poète et de son œuvre. C’est sans doute ce qui explique que je l’aie soigneusement conservé. Je crois utile d’en reproduire ci-dessous le contenu.

 

 

Le modeste dépliant de 4 pages, en noir et blanc, dont la première page était occupée par une photo du poète par Marc Enguerand, proposait deux programmes en alternance.

1. Per el Yiyo / Poème épique en quatre actes en hommage au tragique destin des / toreros Paquirri et El Yiyo / Réalisation Jean-Louis Thamin.

2. L’enterrement à Sabres / Récit flamboyant et méditation mystique / La geste d’un peuple en quête d’un dieu qui se dérobe / Réalisation Hermine Karagheuz / échange français-occitan avec la participation / de Bernard Manciet.

Les deux pages centrales sont réservées, celle de gauche, au premier spectacle, celle de droite au second. À cheval sur les deux pages centrales, un court texte-annonce :

La Dauna régnait sur la Lande, “terre reflet du ciel”, désert biblique.

El Yiyo vivait au cœur de l’arène, et il y périt, tout jeune encore.

Ces deux œuvres, ancrées dans la terre occitane, d’une beauté inouïe,

majestueuses et puissantes, seront présentées en alternance.

Pour donner à Manciet sa juste place au sommet de l’art poétique.

Au-dessous, deux encadrés.

Page de gauche :

Per el Yiyo / Réalisation Jean-Louis Thamin / Décor / Steen Halbro / Lumières / Jean-Pascal Pracht / avec / Ghaouti Faraoun / Jérôme Robart / Thomas Roux / Mardi 3, jeudi 5, samedi 7 et lundi 9 décembre à 21 heures.

Page de droite :

L’Enterrement à Sabres / Adaptation / Bernard Manciet, Hermine Karagheuz / Réalisation et dispositif scénique / Hermine Karagheuz / Lumières / Jean-Pascal Pracht / avec / Hermine Karagheuz / Bernard Manciet / Michael Chirinian / lundi 2, mercredi 4, vendredi 6 décembre à 21 h et dimanche 8 à 16 h.

Haut de la page de gauche, sous le titre :

Le 26 septembre 1984 dans l’arène de Pozo-Blanco, Paquirri succombe à un coup de corne à l’aine. El Yiyo tue immédiatement le taureau. Le 30 août 1985, à Colmenar Viejo, El Yiyo meurt à son tour d’une coup de corne qui lui transperce le cœur. Il a alors vingt-deux ans. Bernard Manciet, qui avait commencé à composer un hommage à Paquirri, modifie alors son texte qui devient « Per el Yiyo », tragédie en quatre actes où se mêlent incantations, apostrophes et provocations, dans l’arène, là où le sacrifice est règle, là où la mort est acte d’amour.

Haut de la page de droite, sous le titre :

Écrit en occitan et traduit en français par l’auteur, ce poème d’environ 5000 vers, composé de seize chapitres, suit, sans toutefois la respecter, l’ancienne cérémonie de la liturgie latine consacrée aux défunts : de la levée du corps à l’ensevelisement.

Les gens de Sabres, bourgade des Landes, enterrent une des leurs, la vieille, la Dame, la “Donne” : elle incarne la lande, “pas du tout le département, mais la tribu au sens biblique”. Le cortège funèbre nous projette dans la rondes des temps antiques… contemporains : la cérémonie funèbre se fait “insurrection, résurrection”, noces cosmiques. La langue de Gascogne est portée aux nues: “je l’enterre” dit Manciet mais “je l’enterre vivante”. Les vers flamboyent comme les images de Paradjanov. Le “Sabres” de Manciet nous submerge comme la “Roma” de Fellini. (H. Karagheuz).

“L’enterrement à Sabres” édition bilingüe Ultreia épuisée) réédité par les Éditions Mollat-Bordeaux 1996, distributeur le Seuil.

Haut de la page 4.

“Il faudrait que notre parole tienne le coup face au parler de l’océan, et à ce moment-là, nous serons dignes d’être poètes. Mais c’est imposible… L’Océan; ce n’est pas seulement, comme le dit Virginia Woolf, de l’eau” (Bernard Manciet)

Né à Sabres (Landes) en septembre 1923, Bernard Manciet retourne définitivement dans les Landes en 1955, après des études secondaires à Bordeaux, supérieures à Paris, et une dizaine d’années passées dans la carrière dilomatique, à l’étranger (Allemagne, Brésil) ainsi qu’à Paris. Il vit et écrit à Trensacq.

Quarante-cinq années d’écriture ininterrompue se traduisent par un nombre et un rythme croissants de publications,, par des “interventions” toujours plus nombreuses mais concises, par des écrits qui, initialement publiés en revue ou patiemment réservés et mûris, donnent à présent matière à de volumineux ouvrages, à une œuvre enfin rendue publique.

Des essais écrits en français l’ont fait connaître d’un public plus large, de même que ses prestations avec des musiciens comme Bernard Lubat ou Beñat Achiary.

Suit un portrait du poète par Christian Delacampagne publié dans le supplément du Monde du 14 septembre 1996: “Bernard Manciet est notre Virgile, mais seuls les initiés le savent. […] Secret et singulier, baroque et classique à la fois, Manciet est un grand poète de la lande: s’ils ont un tant soit peu de curiosité, les Parisiens eux-mêmes devraient finir par s’en apercevoir.”

 

 

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Les souvenirs que je conserve de cette soirée se sont beaucoup estompés. Cependant, je revois le dispositif scénique : le cercueil de la Daune au milieu de la scène. Côté jardin, l’espace dans lequel évoluait Hermine Karagheuz ; côté cour, une petite table éclairée chichement (une lampe frontale ?), sur laquelle étaient disposée une liasse de feuillets. B. Manciet lisait les extraits de son poème en insistant sur les accents et sur les consonnes finales, avec un débit lent et continu, incantatoire, qui laissait peu de place au silence entre les mots. Hermine Karagheuz récitait la traduction française en l’accompagnant d’une gestuelle discrète. Je mesurai ma grande ignorance de ce parler de la Haute Lande, que je tentais de restituer après coup à partir de la traduction française sans vraiment y parvenir.