Mort du chat Gini
Nous avons fait piquer Gini ce matin. Nous l’avons porté à la clinique vétérinaire et, là, le docteur Cailleau lui a effectué deux piqûres, une pour l’endormir, l’autre, de penthotal, pour le tuer. Nous avons assisté à la totalité de l’opération, mais j’ai dû sortir un moment entre les deux piqûres pour m’aérer l’esprit et sécher mes larmes. Le docteur, une jeune femme, s’est comportée avec beaucoup de tact. Lorsqu’on a quitté la clinique, elle nous a souhaité « courage ». La formule m’a surpris, parce que je la croyais réservée aux parents d’un défunt humain mais, à la réflexion, elle est parfaitement adaptée aussi à ce genre de situation.
Gini était un petit chat abandonné. Une locataire de notre immeuble de la rue Vergniaud l’avait recueilli mais ne pouvait pas le garder. Nous l’avons adopté en pensant qu’il serait heureux à L’Olive, où nous nous apprêtions à déménager (1997). Ce fut le cas, après deux ou trois jours d’adaptation, pendant lesquels il refusa de quitter la chambre de Patrice. Le premier soir, il se cacha sous le lit. Mais il s’enhardit pendant la nuit, au point qu’il nous fut donné de découvrir un spectacle peu banal lorsque nous sommes entrés dans la chambre au matin. Gini avait non seulement fini par rejoindre Patrice dans son lit, mais il avait tellement pris ses aises, qu’il en occupait deux bons tiers, tandis que Patrice, pourtant déjà passablement enveloppé, se tenait au bord du matelas, en équilibre instable. Nous y vîmes le signe d’une adaptation prochaine.
Gini était notre tigre. Il avait le pelage blond rayé de roux, un corps élancé, une tête ronde, des yeux à la fois grands et bien fendus. Il était agile et rapide à la course, bien qu’il fût affublé d’un genu valgum qui finira par le handicaper sur ses vieux jours.
Il avait un don de pédagogue. C’est lui qui a éduqué tous les petits chats qui ont défilé dans la maison, et il y en eut : nous souhaitions en avoir deux ou trois en permanence (pour une aussi grande maison, ce n’est pas excessif) et les voitures nous en tuaient régulièrement, qu’il fallait remplacer. Gini, seul, qui se montrait plus prudent que les autres, a vécu jusqu’à un âge avancé. Il veillait sur leurs premières échappées hors de la maison, pour ceux que nous avions adoptés très petits. Il initiait les plus grands à la chasse, en leur rapportant leur premier gibier vivant, généralement un mulot. Après avoir confié sa proie au chaton, il allait se coucher à quelques pas de là, et, bien qu’il feignît l’indifférence, la tête tournée dans la direction opposée, il ne perdait rien des jeux cruels auquel le futur chasseur se livrait sur sa pauvre victime.
Gini était aussi voleur. Notre fille le traitait de faux-cul parce qu’il s’arrangeait toujours pour ne pas être surpris sur le fait, et vous regardait avec un air de vous dire qu’il n’était en rien responsable du désastre. C’était pourtant un vrai voleur. Il adorait lécher la motte de beurre abandonnée sur la table du petit-déjeuner, grignoter le fromage de chèvre mal protégé sous sa cloche, au-dessus du frigidaire ou la viande qui attendait d’être cuite à côté du gaz, dans son papier d’emballage. Mais si vous mettiez dans son assiette le morceau de beurre, de fromage ou de viande auquel il avait touché, il ne le mangeait pas. Il aimait se servir, pas être servi et plus l’objet de son désir était difficilement accessible, plus cela lui plaisait.
Le matin, lorsque j’ouvrais les volets de notre chambre, il bondissait de l’extérieur sur le rebord de la fenêtre, faisant un saut sans élan d’un mètre quatre-vingts au moins. Les années passant, son arrière-train ne lui permettait plus de réaliser son exploit quotidien. Aussi attendait-il que j’aie ouvert la porte-fenêtre du salon pour entrer par le perron. Il disparut deux jours et nous revint fortement handicapé du train arrière. Une radio révéla qu’il avait reçu une volée de plomb tirée par un chasseur maladroit ou malveillant. On eut beau le soigner, son état empira au point d’en faire un infirme qui ne se déplaçait qu’en se contorsionnant et dont l’urine coulait dès qu’il tentait de se déplacer. Il a fallu se résoudre à recourir à l’euthanasie.
Il passait ses journées à l’intérieur, pour se remettre de ses nuits qu’il passait dehors, on n’a jamais su où, après que l’on eut interdit l’accès du grenier aux chats : des matous venaient y marquer leur territoire et y parfumer l’atmosphère. Il avait ses coins : un certain endroit du couloir, sur lequel il avait dû repérer le passage d’une canalisation chaude ; et, bien entendu, près du feu. Mais il aimait par-dessus tout monter sur mes genoux dès que je m’asseyais ou me couchais pour lire. Lui me trouvait confortable, mais j’appréciais moins son poids et sa manie de manifester son bonheur en m’enfonçant ses griffes sur les cuisses. J’en avais pris mon parti, m’arrangeant pour qu’il trouve une place entre mes jambes, sans appuyer dessus, lorsque j’étais couché ou en le chassant en désespoir de cause, lorsque je lisais dans un fauteuil. Il ne s’en offusquait pas et finissait par trouver une place à sa convenance pour peu qu’il pût coller sa tête contre ma hanche et y baver à loisir.
Pour nous consoler de la perte d’un animal qui a accompagné notre retraite jusqu’ici, il nous reste les photos, car il était photogénique, et deux adorables chatons, Dulcinée et Diabolo, auxquels nous essayons de communiquer une peur salutaire des voitures. Nous verrons bien.
28 janvier 2009