Mois : août 2024

Quedar en agua de borrajas

Quedar en agua de borrajas

En castellano se da un fenómeno en apariencia similar al de “Faire flèche de tout bois”, que analizo bajo la pestaña “curiosités langagières et autres” de esta página: la sustitución de una palabra por otra dentro de una locución y el consiguiente abandono de la primera versión en beneficio de la segunda.

La locución primitiva se conserva bajo la forma volverse agua de cerrajas en el Diccionario fraseológico español-francés y francés-español de Antonio Rotondo, 1841, el cual proporciona además el equivalente francés, que sigue siendo vigente hoy: “s’aller en eau de boudin”. La Enciclopedia del idioma de Martín Alonso, s.v. cerrajas, se limita a explicitar la expresión “agua de cerrajas” (“cosa sin importancia”), mientras que María Moliner reproduce la locución entera, s.v. 2 agua: “quedar una cosa en agua de cerrajas”. No resultar nada de ella en definitiva”.

En contraste con esa relativa profusión de referencias bibliográficas relativas a la formulación con cerrajas, la que es de uso corriente hoy, “quedarse en agua de borrajas”, está apenas repertoriada. No aparece en Autoridades, tampoco en en el Diccionario fraseológico, en el Martín Alonso, ni en el María Moliner. El Corominas dedica una entrada a borraja, pero sin citar la locución. Por fin, el Diccionario de la Real Academia recoge las dos formas, remitiendo a agua de borrajas la segunda acepción de agua de cerrajas (“2. f. agua de borrajas”).

Por consiguiente, la locución actual, quedar en agua de borrajas, a pesar de su amplio uso y de la desaparición total de la anterior versión, sigue sufriendo una competencia inaudita por parte de aquella entre los dialectólogos, que equivale a relegar la fuerza del uso a un segundo plano frente a ciertas consideraciones históricas.

La diferencia entre una y otra versión consiste en la sustitución de una sola palabra, “cerrajas” por “borrajas”, procedimiento menos complejo que el del ejemplo fancés citado más arriba, en el que la sustitución de “flèche” por “feu” impacta a todo el sintagma al modificar el valor preciso del verbal “faire” (“faire du feu” no es lo mismo que “faire feu”, menos aún que “faire flèche”).

En este caso interviene también la similitud fonética entre ambos términos, que solo se diferencian por la articulación inicial, (“-bo-“ por “ce-), lo que induce a pensar que el Sonchus oleraceus (cerraja) ha dejado de ser una planta familiar mientras que el Borrago officinalis (borraja) adquirió ese estatuto o lo mantuvo más adelante.

La explicación fonética y botánica debe completarse con otra, semántica, en la medida en que se define esa agua de cocción de las dos plantas mencionadas como de nulo efecto. Esa interpretación negativa contrasta con las virtudes que la farmacopea tradicional les atribuye. Ambas son comestibles, crudas o cocidas, la cerraja contiene vitaminas A, D y E, y la borraja es sudorífica (Villena, Arte cisoria), características todas ellas que no merecen que se les desprecie tanto.

Sin embargo, no cabe la menor duda de que las dos locuciones coinciden en esa apreciación poco halagüeña. Quizás la clave esté en el equivalente francés, “eau de boudin”, es decir el agua dentro de la que las morcillas han cocido y se suele tirar después del uso. Es el más ínfimo producto de la matanza, que tantos deleites ofrece por otra parte. Si bien recuerdo, por haber presenciado a menudo en mi niñez esa ceremonia, el jugo de la cocción de las morcillas ni tiene sabor, ni siquiera color.

¿Qué relación tiene el agua donde se ha hervido la cerraja o la borraja con la de la morcilla? Opino que no es tanto la sustancia como el sabor y el color, lo que es suficiente para denegar cualquier valor a ese derivado de la fiesta cerdil.

 

Parler landais

Parler landais

Les Landes n’ont pas de poètes. Et c’est bien fait. Qu’elles s’en prennent à leur langue « épouvantable » et « primitive ». Le gascon paraît déjà suffisamment barbare et raboteux aux autres peuples de langue d’oc. Le Landais s’y distingue en y rajoutant des accrocs à écorcher les oreilles. Tantôt des tthieuh, tantôt des ddhieuh, inconnus de la civilisation[1]. Tantôt encore il s’en donne à cœur joie dans les ouèn ou les oueun, les bruc et les mocr, les grm, les thioc et les bartoc… Votaire a fort bien dit : « Beaucoup de consonnes et peu d’esprit ». Sauf l’esprit rude, ce h aspiré qui attaque le mot comme un « han ! » de bûcheron, et qui huche à plaisir tout au long de phrases sans tête ni queue, aux propositions capricieusement combinées en casse-tête chinois ou en contre-plaqué. Tout irait encore à peu près, sans l’inévitable, inextirpable et archaïque que, qui croit remplacer à tout propos de bons pronoms personnels. Que si le gascon, en effet, l’utilise couramment, comme une note gaie de piano-forte, le landais le cahote, et le hoquette en à-coups sourds et sombres. Comme si les e muets ne se trouvaient pas assez nombreux déjà dans ce « parler noir », guttural, qui vous met « dans la gorge comme la rumeur de la mer sur les galets » [Emmanuel Delbousquet, En Gascogne, Mont-de-Marsan, 1929, p. 17]. Parler « noir » qui, pour un Béarnais, ne peut faire figure que de patois, dégénéré ou plutôt sous-développé comme les sonorités punks. Au moins pourrait-il se rendre en quelque manière intelligible. Mais alors que les grammairiens occitans réussissent à la longue à faire cadrer le gascon avec les principes de la norme occitaniste, lorsqu’il s’agit de torturer le landais, ils renoncent avec agacement. Lorsqu’ils cherchent à unifier le vocabulaire des langues d’oc, ils ne trouvent dans le landais que l’unité de l’incohérence. Les mots changent de village à village, de tribu à tribu :  « Comment dit-on, chez toi, entonnoir ? – Ulhete ; et chez toi ? – Ahonilh… – C’est pas pareil… ». Comment donc tirer la moindre poésie de si peu d’académie ? En approfondissant l’études des langages landais, peut-être obtiendrait-on tout de même quelque sonorité commune, qui permettrait que l’on s’entendît avec des rudiments musicaux, comme les volatiles ou les félidés. Mais aucun chant national – et l’on connaît les liens étroits de la poésie et de l’histoire – aucune épopée ne paraissent posssibles, aucune Marseillaise. Sauf toutefois la « Marseillaise landaise », le cantique Estela de la mar, qui, chanté dans les pèlerinages, ne devient que l’harmonie du chaos : le Maransin rudoie ; les Petites Landes ondoient ; le Médoc grommelle ; les Grandes Landes huent. Un compositeur de chants populaires landais s’était rabattu sur un seul dénominateur commun : « Il faut que ça monte et que ça descende. »

Voilà donc, sans nul doute, une langue de rebut.

Bernard Manciet, Le triangle des Landes,

Paris, Arthaud, 1981, p. 173-174.

Avec beaucoup de malice, Bernard Manciet se fait l’avocat du diable. Lui qui avait choisi cette « langue de rebut » comme organe de prédilection pour composer son œuvre poétique, reprend tous les clichés qui, dans le reste du domaine occitan et chez bien des linguistes, tendent à déconsidérer ce parler neugue auquel il tenait tant.

Je n’ai jamais « parlé patois », selon la formule qui, pendant mon enfance, désignait la langue gascone en usage dans les Landes. Nos maîtres ne nous y incitaient pas, même si tous ne mettaient pas un réel acharnement à défendre l’usage exclusif du français, qui était une des obligations des hussards de la République. Certains y veillaient de près. Mon camarade Jacques Dalès se souvient que notre instituteur du cours moyen à l’école publique Saint-Vincent de Dax, M. Dassé, au demeurant un homme peu sévère dans le contexte plutôt répressif du Primaire d’alors, n’admettait pas la moindre entorse à cette règle. D’autres, au contraire, ne rougissaient pas s’il leur échappait quelques mots dans cette langue. Il y en eut même, mais je ne le sus que plus tard, qui la pratiquaient couramment, en-dehors de l’école, s’entend. Ainsi, c’est en patois que Pierre Roumégous, qui avait la charge de la classe du certificat d’études, rédigeait ses articles pour Le Travailleur landais et sa correspondance à l’intention d’autres militants socialistes. À l’initiative de sa fille, Micheline, certains des écrits de son père ont fait l’objet d’une publication en volume (Pierre Roumégous, Leutres à l’Henri, lettres à Henri. Chroniques politiques gasconnes du Travailleur landais (1936-1948). Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2014) ou sous forme d’articles dans le Bulletin de la Société de Borda (n° 526, 2ème trimestre 2017 ; n° 547, 3ème trimestre 2022).

Nos parents en possédaient quelques rudiments, qu’ils avaient acquis, pour l’un, sur les chantiers forestiers de la Haute Lande, pour l’autre, dans les maisons où elle avait été placée. Il en savaient assez pour pouvoir s’entretenir avec des amis paysans, comme les Lesfauries, à Bénesse-lè-Dax, chez qui je me suis familiarisé avec la vie de ferme. Mon père allait se ravitailler chez eux pendant la guerre – sept bons kilomètres à vélo, avec la rude côte de Saint-Pandelon, longue d’un kilomètre, à franchir à l’aller – : il leur cédait une partie du sel qu’il recevait de l’usine des Salines, où il travaillait, et en rapportait beurre, fromages, etc. Les parents Lesfauries ne parlaient que patois à la maison, même si leurs enfants, surtout les filles, qui avaient notre âge, répugnaient à l’utiliser avec des urbains, car c’est ainsi qu’elles nous percevaient. De ces relations très épisodiques, je n’ai retiré qu’une connaissance superficielle, essentiellement limitée à quelques termes ou locutions de la vie courante. Mais je les ai conservés et j’en fais volontiers usage en famille, pour le plaisir mais aussi parce qu’ils véhiculent des nuances que le français ignore. J’en ai fait un bref inventaire, que je reproduis ci-dessous.

Français à la sauce gasconne

À jour passé : tous les deux jours.

Charlotade

   – bouffonnerie ; emploi courant dans une corrida ratée

   – certaines figures dans les courses de vachettes.

Connaître

   – Ça n’est pas à connaître. « J’ai fait le ménage il y a deux heures et ce n’est plus à connaître ; « Tu t’es lavé les mains ? Ça n’est pas à connaître ».

   – Ça se connaît : ça se remarque, c’est évident, je vois bien (tournure inspirée du castillan ‘se conoce’, qui a le même sens ?)

Deuil

   – ça me fait deuil : il m’en coûte, j’en ai du regret. Du médiéval français dueil.

D’ici étant : vu d’ici

Dit, le

   – Il ne veut pas que ce soit le dit : il ne veut pas l’admettre ; il ne veut pas qu’on le soupçonne ; il ne veut pas que cela se sache.

Souvenir

   – Ça me souvient : il m’en coûte

Virer

   – tourner

 

Termes ou locutions gascons

aganit, aganide : avare

apiter : planter bien droit, faire tenir un objet droit.

barrat a clau : fermé à double tour.

bechigue : vessie ;  terme désignant tout ballon fait de cuir. Au moment de la tuaille (voir ce mot), les enfants attendaient qu’on leur donne la vessie du porc sacrifié. Après l’avoir débarrassée de sa graisse et l’avoir laissé sécher, ils la gonflaient et s’en servaient comme d’un ballon de rugby. Elle ne résistait pas longtemps à ce régime. Dans ces commentaires des matches du Tournoi des Cinq Nations, Pierre Albaladejo ne manquait jamais l’occasion de désigner ainsi le ballon.

beriac, beriague : ivre

caguer : chier. J’emploie plus volontiers caguer parce que je lui trouve, peut-être à tort, un côté enfantin qui atténue la crudité des expressions qui utilisent « chier » : « ça me fait caguer » ou « il a cagué partout ».

   – cagade : maladresse.

canique ou gayère (gaillère ?) : bille de terre ou de verre.

castagne : châtaigne et sa valeur métaphorique, « coup de poing » (‘on s’est castagnés’).

chuque lit, niaque poupe : désigne le petit enfant : il suce du lait et mord son poing.

cigarline : lézard des murailles (Podarcis muralis).

craspec : sale, crade, cradingue.

   Désignation des enfants

– cochou : gamin.

gouyat, gouyate : jeune garçon, jeune fille.

meinadje : enfant

escaner (s’), (var. vulg. s’entougner) : s’étouffer (en mangeant ou en buvant)

estrabuc : accident inopiné.

ganure, la : le cou, ‘serrer la ganure’.

gorgule : fruit du marronnier.

hagne : la boue (même étymologie que le fr. ‘fange’).

hu !: exprime l’étonnement ; var. eh bè !

lagagne :

   – châsse des yeux, ‘avoir les yeux pleins de lagagnes’

   – lagagnous : yeux châssieux.

mahutre : celui qui ne sait utiliser que la force.

moussiu : monsieur. On désignait ainsi le cochon élevé par la famille. Mon ami asturien Luis ne désignait jamais le cochon que comme « el señor cerdo » ou « el marqués » (le marquis).

niaquer : mordre. « avoir du niac » : avoir du mordant, la volonté de vaincre.

Pimbo : très loin ; Pimbo est un village au sud d’Aire-sur-l’Adour. Peut-être à cause de cette expression, je ne suis jamais allé à Pimbo. Var. ‘à Pampelune’. En revanche, je connais la capitale de la Navarre.

pinhada, pignada : forêt de pins

pouchïou (rester au) : gêner, faire obstacle aux évolutions des autres.

   Chanca (prononcer : tianca)

– échasse ; castillan, zanco.

– chancayre, échassier (berger monté sur échasses)

– chanquer  : boiter.

tuaille : sacrifice du cochon aux premiers jours de décembre.

 



[1] Le hameau de Soustons où se trouve la bergerie des Mitterrand, Latche, se prononce en landais Latthieuh et non Latché (MG).

Faire flèche de tout bois

Faire flèche de tout bois

La locution proverbiale « faire flèche de tout bois », qui signifie « utiliser tous les moyens pour parvenir à ses fins » est empruntée au vocabulaire guerrier, à une époque où les combattants usaient encore d’arcs et de flèches. Le Dictionnaire du Moyen Français (DMF) la répertorie sous la forme « faire de tout bois flesches » (Jean de Léry, 1563-1578). Elle continue à figurer dans les dictionnaires du XIXe et du XXe siècles, dont le Littré, et aussi dans les plus récents comme le Petit Robert 1987 : « Faire flèche de tout bois : utiliser tous les moyens disponibles, même s’ils sont mal adaptés ». La tige des flèches était confectionnée en bois. La locution laisse entendre que ce matériau était plus ou moins adapté à son usage et que, en cas de nécessité, on devait se contenter d’un bois médiocrement résistant, sans pour autant renoncer à se battre, ce que confirme un autre dicton, lui aussi recueilli par Littré : « Tout bois n’est pas bon à faire flèche ». C’est dans ce contexte guerrier que la locution prend tout son sens.

  Faire feu de tout bois

Cette locution est plus récente. Elle ne figure ni dans le Littré ni dans le Petit Robert 1987, en revanche, on la trouve dans le TLF (s. v. « feu » : Faire feu de tout bois*. Employer tous les moyens possibles pour parvenir à ses fins »). Cette définition, qui reproduit presque littéralement celle que le Littré donne de la précédente (s. v. flèche : « Faire flèche de tout bois, mettre tout en œuvre pour arriver à quelque fin »), atteste de la parenté entre les deux locutions.

La définition que Wikipedia donne de « faire feu de tout bois » confirme ce fait : « Se servir de tous les moyens, de toutes les ressources dont on dispose ». En outre, l’article propose trois exemples, dont le plus ancien date de 1962 (Benoîte et Flora Groult, Journal à quatre mains, Denoël, 1962, p. 22). Comme l’article « feu » du Petit Robert 1987 ne retient pas la seconde, on peut en conclure que la locution n’est pas alors encore d’usage assez courant pour être répertoriée. Il est permis, par conséquent, d’affirmer que « faire feu de tout bois » est plus récente que « faire flèche de tout bois ».

  De Faire flèche de tout bois à Faire feu de tout bois

La question se pose de savoir si le rapport entre les deux locutions ne dépasse pas de simples considérations chronologiques et si la seconde n’est pas une simple variante de la première.

La signification des deux formes étant identique, ce qui les distingue concerne le seul vocabulaire. La substitution de « faire flèche » par « faire feu » peut certes s’interpréter comme une actualisation des pratiques guerrières, les armes à feu ayant remplacé les armes de trait, mais le sens littéral de la locution se trouve profondément modifié dès lors que l’élément « bois » est conservé car, de matériau, il se trouve ramené au rang de combustible. Dès lors, « Faire feu » ne se limite pas à être l’équivalent moderne de « faire flèche » mais prend la signification de « faire du feu ». On en oublie la valeur du « faire » initial qui, dans la première locution, suggère la détermination d’un combattant qui fait fi des contingences. La deuxième, quant à elle, relève d’un simple constat et se contente de renvoyer à des considérations platement quotidiennes.

La notion de confort l’emporte désormais sur celle d’héroïsme et il est à craindre que la valeur originelle du dicton ne soit définitivement perdue dans l’usage courant. Reste à se demander ce que la nouvelle version conserve de la première pour ceux qui l’ignoraient ou l’ont oubliée : probablement une notion de constance voire d’entêtement contre l’adversité.