Parler landais
Les Landes n’ont pas de poètes. Et c’est bien fait.
Qu’elles s’en prennent à leur langue « épouvantable » et
« primitive ». Le gascon paraît déjà suffisamment barbare et raboteux
aux autres peuples de langue d’oc. Le Landais s’y distingue en y rajoutant des
accrocs à écorcher les oreilles. Tantôt des tthieuh, tantôt des ddhieuh,
inconnus de la civilisation. Tantôt encore il s’en donne à cœur joie dans les ouèn
ou les oueun, les bruc et les mocr, les grm, les thioc
et les bartoc… Votaire a fort bien dit : « Beaucoup de
consonnes et peu d’esprit ». Sauf l’esprit rude, ce h aspiré qui
attaque le mot comme un « han ! » de bûcheron, et qui huche à
plaisir tout au long de phrases sans tête ni queue, aux propositions
capricieusement combinées en casse-tête chinois ou en contre-plaqué. Tout irait
encore à peu près, sans l’inévitable, inextirpable et archaïque que, qui
croit remplacer à tout propos de bons pronoms personnels. Que si le gascon, en
effet, l’utilise couramment, comme une note gaie de piano-forte, le landais le
cahote, et le hoquette en à-coups sourds et sombres. Comme si les e
muets ne se trouvaient pas assez nombreux déjà dans ce « parler
noir », guttural, qui vous met « dans la gorge comme la rumeur de la
mer sur les galets » [Emmanuel Delbousquet, En Gascogne,
Mont-de-Marsan, 1929, p. 17]. Parler « noir » qui, pour un Béarnais,
ne peut faire figure que de patois, dégénéré ou plutôt sous-développé comme les
sonorités punks. Au moins pourrait-il se rendre en quelque manière
intelligible. Mais alors que les grammairiens occitans réussissent à la longue
à faire cadrer le gascon avec les principes de la norme occitaniste, lorsqu’il
s’agit de torturer le landais, ils renoncent avec agacement. Lorsqu’ils
cherchent à unifier le vocabulaire des langues d’oc, ils ne trouvent dans le
landais que l’unité de l’incohérence. Les mots changent de village à village,
de tribu à tribu : « Comment dit-on, chez toi, entonnoir ? – Ulhete ;
et chez toi ? – Ahonilh… – C’est pas pareil… ». Comment donc
tirer la moindre poésie de si peu d’académie ? En approfondissant l’études
des langages landais, peut-être obtiendrait-on tout de même quelque sonorité
commune, qui permettrait que l’on s’entendît avec des rudiments musicaux, comme
les volatiles ou les félidés. Mais aucun chant national – et l’on connaît
les liens étroits de la poésie et de l’histoire – aucune épopée ne
paraissent posssibles, aucune Marseillaise. Sauf toutefois la « Marseillaise
landaise », le cantique Estela de la mar, qui, chanté dans les
pèlerinages, ne devient que l’harmonie du chaos : le Maransin
rudoie ; les Petites Landes ondoient ; le Médoc grommelle ; les
Grandes Landes huent. Un compositeur de chants populaires landais s’était
rabattu sur un seul dénominateur commun : « Il faut que ça monte et
que ça descende. »
Voilà donc, sans nul doute, une langue de rebut.
Bernard Manciet, Le triangle des Landes,
Paris, Arthaud, 1981, p. 173-174.
Avec beaucoup de malice, Bernard Manciet se fait
l’avocat du diable. Lui qui avait choisi cette « langue de rebut »
comme organe de prédilection pour composer son œuvre poétique, reprend tous les
clichés qui, dans le reste du domaine occitan et chez bien des linguistes,
tendent à déconsidérer ce parler neugue auquel il tenait tant.
Je n’ai jamais « parlé patois », selon la
formule qui, pendant mon enfance, désignait la langue gascone en usage dans les
Landes. Nos maîtres ne nous y incitaient pas, même si tous ne mettaient pas un
réel acharnement à défendre l’usage exclusif du français, qui était une des
obligations des hussards de la République. Certains y veillaient de près. Mon
camarade Jacques Dalès se souvient que notre instituteur du cours moyen à
l’école publique Saint-Vincent de Dax, M. Dassé, au demeurant un homme peu
sévère dans le contexte plutôt répressif du Primaire d’alors, n’admettait pas
la moindre entorse à cette règle. D’autres, au contraire, ne rougissaient pas
s’il leur échappait quelques mots dans cette langue. Il y en eut même, mais je ne
le sus que plus tard, qui la pratiquaient couramment, en-dehors de l’école,
s’entend. Ainsi, c’est en patois que Pierre Roumégous, qui avait la charge de
la classe du certificat d’études, rédigeait ses articles pour Le Travailleur
landais et sa correspondance à l’intention d’autres militants socialistes. À
l’initiative de sa fille, Micheline, certains des écrits de son père ont fait
l’objet d’une publication en volume (Pierre Roumégous, Leutres à l’Henri, lettres
à Henri. Chroniques politiques gasconnes du Travailleur landais
(1936-1948). Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2014) ou sous
forme d’articles dans le Bulletin de la Société de Borda (n° 526, 2ème
trimestre 2017 ; n° 547, 3ème trimestre 2022).
Nos parents en possédaient quelques rudiments, qu’ils
avaient acquis, pour l’un, sur les chantiers forestiers de la Haute Lande, pour
l’autre, dans les maisons où elle avait été placée. Ils en savaient assez pour
pouvoir s’entretenir avec des amis paysans, comme les Lesfauries, à
Bénesse-lè-Dax, chez qui je me suis familiarisé avec la vie de ferme. Mon père
allait se ravitailler chez eux pendant la guerre – sept bons kilomètres à
vélo, avec la rude côte de Saint-Pandelon, longue d’un kilomètre, à franchir à
l’aller – : il leur cédait une partie du sel qu’il recevait de
l’usine des Salines, où il travaillait, et en rapportait beurre, fromages, etc.
Les parents Lesfauries ne parlaient que patois à la maison, même si leurs enfants,
surtout les filles, qui avaient notre âge, répugnaient à l’utiliser avec des
urbains, car c’est ainsi qu’elles nous percevaient. De ces relations très
épisodiques, je n’ai retiré qu’une connaissance superficielle, essentiellement
limitée à quelques termes ou locutions de la vie courante. Mais je les ai
conservés et j’en fais volontiers usage en famille, pour le plaisir mais aussi
parce qu’ils véhiculent des nuances que le français ignore. J’en ai fait un
bref inventaire, que je reproduis ci-dessous.
Français
à la sauce gascone
À jour passé :
tous les deux jours.
Charlotade
– bouffonnerie ; emploi courant dans une
corrida ratée
– certaines figures dans les courses de vachettes.
Connaître
– Ça n’est pas à connaître. « J’ai fait
le ménage il y a deux heures et ce n’est plus à connaître ; « Tu t’es
lavé les mains ? Ça n’est pas à connaître ».
– Ça se connaît : ça se remarque, c’est
évident, je vois bien (tournure inspirée du castillan ‘se conoce’, qui a le
même sens ?)
Deuil
– ça me fait deuil : il m’en coûte, j’en ai du
regret. Du médiéval français dueil.
D’ici étant :
vu d’ici
Dit, le
– Il
ne veut pas que ce soit le dit : il ne veut pas l’admettre ; il
ne veut pas qu’on le soupçonne ; il ne veut pas que cela se sache.
Souvenir
– Ça me souvient : il m’en coûte
Virer
– tourner
Termes ou locutions gascons
aganit, aganide :
avare
apiter :
planter bien droit, faire tenir un objet droit.
barrat a clau :
fermé à double tour.
bechigue :
vessie ; terme désignant tout ballon fait de cuir. Au moment de la tuaille
(voir ce mot), les enfants attendaient qu’on leur donne la vessie du porc
sacrifié. Après l’avoir débarrassée de sa graisse et l’avoir laissé sécher, ils
la gonflaient et s’en servaient comme d’un ballon de rugby. Elle ne résistait
pas longtemps à ce régime. Dans ces commentaires des matches du Tournoi des
Cinq Nations, Pierre Albaladejo ne manquait jamais l’occasion de désigner ainsi
le ballon.
beriac, beriague : ivre
caguer :
chier. J’emploie plus volontiers caguer parce que je lui trouve,
peut-être à tort, un côté enfantin qui atténue la crudité des expressions qui
utilisent « chier » : « ça me fait caguer » ou
« il a cagué partout ».
– cagade : maladresse.
canique ou gayère (gaillère ?) : bille de terre ou de verre.
castagne :
châtaigne et sa valeur métaphorique, « coup de poing » (‘on s’est
castagnés’).
chuque lit, niaque poupe : désigne le petit enfant : il suce du lait
et mord son poing.
cigarline :
lézard des murailles (Podarcis muralis).
craspec :
sale, crade, cradingue.
Désignation des enfants
– cochou :
gamin.
– gouyat, gouyate : jeune garçon, jeune
fille.
– meinadje : enfant
escaner (s’),
(var. vulg. s’entougner) : s’étouffer (en mangeant ou en buvant)
estrabuc :
accident inopiné.
ganure, la :
le cou, ‘serrer la ganure’.
gorgule :
fruit du marronnier.
hagne :
la boue (même étymologie que le fr. ‘fange’).
hu !:
exprime l’étonnement ; var. eh bè !
lagagne :
– châsse
des yeux, ‘avoir les yeux pleins de lagagnes’
– lagagnous : yeux châssieux.
mahutre :
celui qui ne sait utiliser que la force.
moussiu :
monsieur. On désignait ainsi le cochon élevé par la famille. Mon ami asturien
Luis ne désignait jamais le cochon que comme « el señor cerdo » ou
« el marqués » (le marquis).
niaquer :
mordre. « avoir du niac » : avoir du mordant, la volonté de
vaincre.
Pimbo :
très loin ; Pimbo est un village au sud d’Aire-sur-l’Adour. Peut-être à
cause de cette expression, je ne suis jamais allé à Pimbo. Var. ‘à Pampelune’.
En revanche, je connais la capitale de la Navarre.
pinhada, pignada : forêt de pins
pouchïou
(rester au) : gêner, faire obstacle aux évolutions des autres.
Chanca
(prononcer : tianca)
– échasse ; castillan, zanco.
– chancayre,
échassier (berger monté sur échasses)
– chanquer :
boiter.
tuaille :
sacrifice du cochon aux premiers jours de décembre.