Faire flèche de tout bois

Français, Textes inédits, Varia Août 13, 2024

Faire flèche de tout bois

La locution proverbiale « faire flèche de tout bois », qui signifie « utiliser tous les moyens pour parvenir à ses fins » est empruntée au vocabulaire guerrier, à une époque où les combattants usaient encore d’arcs et de flèches. Le Dictionnaire du Moyen Français (DMF) la répertorie sous la forme « faire de tout bois flesches » (Jean de Léry, 1563-1578). Elle continue à figurer dans les dictionnaires du XIXe et du XXe siècles, dont le Littré, et aussi dans les plus récents comme le Petit Robert 1987 : « Faire flèche de tout bois : utiliser tous les moyens disponibles, même s’ils sont mal adaptés ». La tige des flèches était confectionnée en bois. La locution laisse entendre que ce matériau était plus ou moins adapté à son usage et que, en cas de nécessité, on devait se contenter d’un bois médiocrement résistant, sans pour autant renoncer à se battre, ce que confirme un autre dicton, lui aussi recueilli par Littré : « Tout bois n’est pas bon à faire flèche ». C’est dans ce contexte guerrier que la locution prend tout son sens.

  Faire feu de tout bois

Cette locution est plus récente. Elle ne figure ni dans le Littré ni dans le Petit Robert 1987, en revanche, on la trouve dans le TLF (s. v. « feu » : Faire feu de tout bois*. Employer tous les moyens possibles pour parvenir à ses fins »). Cette définition, qui reproduit presque littéralement celle que le Littré donne de la précédente (s. v. flèche : « Faire flèche de tout bois, mettre tout en œuvre pour arriver à quelque fin »), atteste de la parenté entre les deux locutions.

La définition que Wikipedia donne de « faire feu de tout bois » confirme ce fait : « Se servir de tous les moyens, de toutes les ressources dont on dispose ». En outre, l’article propose trois exemples, dont le plus ancien date de 1962 (Benoîte et Flora Groult, Journal à quatre mains, Denoël, 1962, p. 22). Comme l’article « feu » du Petit Robert 1987 ne retient pas la seconde, on peut en conclure que la locution n’est pas alors encore d’usage assez courant pour être répertoriée. Il est permis, par conséquent, d’affirmer que « faire feu de tout bois » est plus récente que « faire flèche de tout bois ».

  De Faire flèche de tout bois à Faire feu de tout bois

La question se pose de savoir si le rapport entre les deux locutions ne dépasse pas de simples considérations chronologiques et si la seconde n’est pas une simple variante de la première.

La signification des deux formes étant identique, ce qui les distingue concerne le seul vocabulaire. La substitution de « faire flèche » par « faire feu » peut certes s’interpréter comme une actualisation des pratiques guerrières, les armes à feu ayant remplacé les armes de trait, mais le sens littéral de la locution se trouve profondément modifié dès lors que l’élément « bois » est conservé car, de matériau, il se trouve ramené au rang de combustible. Dès lors, « Faire feu » ne se limite pas à être l’équivalent moderne de « faire flèche » mais prend la signification de « faire du feu ». On en oublie la valeur du « faire » initial qui, dans la première locution, suggère la détermination d’un combattant qui fait fi des contingences. La deuxième, quant à elle, relève d’un simple constat et se contente de renvoyer à des considérations platement quotidiennes.

La notion de confort l’emporte désormais sur celle d’héroïsme et il est à craindre que la valeur originelle du dicton ne soit définitivement perdue dans l’usage courant. Reste à se demander ce que la nouvelle version conserve de la première pour ceux qui l’ignoraient ou l’ont oubliée : probablement une notion de constance voire d’entêtement contre l’adversité.