Catégorie : Textes inédits

Poèmes en galicien dans les recueils poétiques espagnols de Paris

En prévision du projet Xacobeo 93, qu’il avait conçu pour relancer le Chemin de Saint-Jacques dans toute l’Europe, le gouvernement de Galice me chargea d’organiser un colloque international à la Sorbonne. Les séances se tinrent, salle Louis Liard, du 19 au 22 novembre 1991. Elles réunirent d’éminents spécialistes : Giuseppe Tavani, Alison Stones, José Da Silva, Léon Pressouyre, Serafín Moralejo, Carlos Alvar, John Williams, Lucia Gai, Vicente Beltrán, Marie-Madeleine Gauthier, Manuel Díaz y Díaz, Anders Arfwedson. Les Actes de cette rencontre n’ont jamais été publiés. Je reproduis ci-dessous le texte de la conférence que j’ai prononcée à cette occasion.

 

Les poèmes en galicien dans les recueils poétiques espagnols de Paris

Michel GARCIA

Université de la Sorbonne Nouvelle

Lorsque, cédant à l’amicale pression des organisateurs, j’acceptai de faire une communication à l’occasion de ces Journées sur le Chemin de Saint-Jacques, je me trouvai confronté à une tâche fort difficile. Il me fallait tenir compte, en effet, de ma relative incompétence sur le sujet retenu, mais aussi de la nécessité d’associer Paris à cet hommage à la Galice et à son pélerinage, à l’imitation de ce qu’ont si bien su faire nos collègues historiens de l’art, sous la direction éclairée de Léon Pressouyre. Je dirigeai donc mes pas vers ce Cluny bibliographique qu’est, pour l’hispaniste médiéviste, la Bibliothèque Nationale et, plus précisément, son fonds de manuscrits, qui recèle d’inestimables trésors littéraires espagnols. J’y retrouvai là de vieux compagnons, ces "chansonniers" ou recueils poétiques qui, bien que tardifs -puisqu’ils datent du XVe siècle- et de provenance castillane pour la plupart, contiennent plus d’une pièce en galicien.

Cette conférence me paraissait donc une excellente occasion de faire le point, après d’autres critiques, sur l’importance et la nature de cette contribution galicienne à la littérature castillane de la fin du Moyen Age, telle que l’on peut la mesurer dans les manuscrits conservés dans notre BN. Le sujet n’est pas neuf. Tous ceux qui se sont peu ou prou intéressé à la poésie castillane de la fin du XIV° et du début du XV° siècles ont rendu compte de cette production en langue galicienne. Je ne prétends pas ici renouveler l’interprétation que linguistes et historiens de la littérature nous ont laissée de ces œuvres.[1] Je souhaite tout au plus mener, à partir d’une lecture attentive de ces chansonniers dans laquelle je mêlerai aperçus sociologiques et analyse formelle, une évaluation de cette production dans le contexte de l’époque. Comme on le verra, le choix du support n’est pas si arbitraire car il fournit, en fin de compte, une information précieuse sur la place de la veine galicienne chez la nouvelle école trouvadouresque castillane et sur les raisons tant de sa permanence que de sa disparition prochaine.

Commençons donc, si vous le voulez bien, par une évaluation quantitative de cet apport. Sur les douze recueils conservés, deux seulement nous intéressent ici, les autres ne contenant pas d’œuvres en galicien, si ce n’est sous la forme de citations de poèmes en cette langue. Il s’agit du Ms 37 du fonds espagnol ou Chansonnier de Baena[2], et du Ms 216, un recueil de textes où domine la prose, que nous appellerons ici, pour plus de commodité, Le Petit Chansonnier[3]. Ce dernier ne contient qu’un poème en galicien, dû à Ruy Gonçález de Clavijo, mais son originalité est telle qu’il mérite qu’on s’y arrête. Nous le ferons à la fin de cet exposé. Pour l’instant, intéressons-nous au Chansonnier de Baena.

Juan Alfonso de Baena, employé aux écritures à la Cour du roi Jean II, achève de réunir cette collection, qu’il dédie au souverain, autour de 1430. Il y recueille des œuvres de quatorze poètes ayant "fleuri" entre 1370 et 1430. Lui-même figure au sommaire. Le manuscrit qui est conservé à la BN est une copie de l’original, et présente, par rapport à ce dernier, quelques lacunes compensées par l’ajout de quelques pièces. La composition de l’ensemble a été sensiblement modifiée, à une époque que l’on ignore, par l’inversion de cahiers, ce qui rend complexe une étude du sommaire, puisque l’on n’a jamais l’assurance que le contexte d’un poème est bien celui que le compilateur lui avait initialement donné.[4]

Ce chansonnier apporte une information essentielle sur une production dont, sans son précieux témoignage, on ignorerait à peu près tout. Le compilateur assigne à son travail un objectif ambitieux, celui de réunir toute la production poétique jamais écrite dans l’art de la poésie et du gai savoir, -selon la terminologie empruntée aux membres du Consistoire de Toulouse (1323)-, jusqu’à l’époque où il décide de la recueillir.[5] L’information est d’importance, car elle nous invite à lire le Chansonnier de Baena non comme un choix de pièces effectué par un amateur, au gré de ses goûts et de ses intérêts, mais comme une véritable encyclopédie de la poésie de l’époque antérieure à Jean II de Castille (1406-1454) ou contemporaine des premières années de son règne.[6]

Le chansonnier démontre l’émergence d’une « école poétique » castillane, qui donnera des fruits nombreux et de qualité tout au long du XVe siècle. Jusque là, le castillan s’est montré d’une remarquable discrétion en poésie. Il ne s’est guère manifesté que dans des genres précis, pour des raisons sans doute diverses qu’il serait trop long d’analyser ici. S’il ne fait qu’une timide apparition dans le genre épique -mais cela donne lieu à un chef-d’œuvre accompli, le Mio Cid-, il investit, en revanche, dès le XIIIe siècle, le genre savant du métier de clergie. Or c’est au moment même où cette inspiration et cette technique cléricales tombent en désuétude, à la fin du XIV° siècle, qu’apparaissent des poètes, en nombre conséquent, disposés à occuper d’autres territoires: le dit narratif, la chanson, le débat.

Il est permis donc de parler de nouvelle école, puisque les poètes castillans élargissent le champ de leur inspiration et de leurs techniques. Mais il serait faux de laisser croire que les sujets du roi de Castille n’ont jamais cultivé ce jardin de la poésie lyrique. Simplement, jusque là, ils l’ont fait en galicien. En effet, une des grandes originalités de la poésie galaïco-portugaise est d’avoir constitué, dès le XIIIe siècle, le lieu de rencontre de créateurs d’origine géographique diverse. Les raisons historiques susceptibles d’expliquer ce phénomène sont multiples: il n’y a pas lieu de les exposer ici. Rappelons seulement que la constitution d’un Etat unitaire castillano-léonais ne s’est pas faite par l’absorption pure et simple du royaume de León par celui de la Castille, mais que le premier a conservé longtemps une spécificité culturelle dont la poésie témoigne de façon patente. L’utilisation du galicien constitue, de fait, une obligation pour tout poète castillan pratiquant le genre lyrique, jusqu’à une date tardive.[7] L’analyse du sommaire du Chansonnier de Baena va nous fournir de précieuses indications à ce sujet.

On me pardonnera de fournir des chiffres, mais ils sont trop significatifs pour qu’on puisse omettre de les citer. Nous disposons aujourd’hui, grâce aux travaux du Professeur Brian Dutton, d’un outil qui nous permet d’appréhender avec un maximum de sûreté l’énorme production cancioneril du XVe siècle.[8] Or, qu’observons-nous? Sur les 6000 poèmes inventoriés par lui, -si l’on veut bien exclure les 1000 pièces portugaises du chansonnier de García de Resende conservé, de plus, dans une édition de 1516-, l’immense majorité est composée en castillan. Parmi les autres langues utilisées, le français, le catalan, l’italien et le latin le sont à des doses infinétésimales et alternent souvent avec le castillan dans le poème. Le galicien, lui, dispose d’un statut particulier: il est plus présent et alterne peu avec le castillan.[9]

Cette présence reste modeste, puisque l’on ne dénombre que 66 poèmes en galicien dans toute la production recueillie par les chansonniers castillans. Mais 49 d’entre eux figurent dans les deux recueils de Paris qui nous intéressent, soit près de 75%. Si l’on ajoute que, de ces 49 poèmes, 36 ont été conservés dans l’unique version de Paris, on mesurera l’intérêt de nos chansonniers pour l’étude de la place du galicien dans la poésie castillane de la fin du Moyen Age.

Mais qui sont ces poètes qui continuent à composer en galicien? Dans le Cancionero de Baena, ils sont six: Alfonso Alvarez de Villasandino, le plus prolixe d’entre eux (22 poèmes); Macías (5 poèmes); Gonzalo Rodríguez, Archidiacre de Toro (5 poèmes); Pero González de Mendoza (2 poèmes); Pero Vélez de Guevara (1 poème); Garci Fernández de Gerena (7 poèmes).

Alfonso Alvarez de Villasandino est le grand homme du chansonnier, le compilateur mis à part, cela s’entend. C’est lui qui a l’honneur d’en ouvrir le sommaire et 96 de ses poèmes y sont reproduits. Il est permis d’affirmer que le recueil s’est fait à partir de ce que l’on peut considérer comme un chansonnier particulier de ce poète, que Baena devait considérer comme un précurseur mais également comme un talent particulièrement représentatif de la production poétique de son temps. Et c’est sans doute aussi en s’inspirant des genres pratiqués par Villasandino que le compilateur organise la production de chaque poète selon un ordre immuable: d’abord les cantigas (chansons), puis les questions et réponses, enfin les dezires (les dits).[10]

La distinction entre ces diverses formes poétiques tient autant au thème et à la tonalité qu’aux structures formelles.

-Les dits sont de nature narrative, qu’ils fassent l’éloge d’un roi ou d’un ami cher ou qu’ils touchent à des aspects quotidiens de la vie du poète, toujours, comme il se doit, en mal d’argent. Ils utilisent soit le vers d’arte mayor, à deux hémistiches hexasyllabes, soit l’octosyllabe.

-Le jeu des questions et réponses emprunte beaucoup à l’esprit et à la forme des dits. Souvent d’ailleurs ces pièces sont désignées comme telles dans les rubriques qui les précèdent. Elles témoignent de l’existence d’une communauté de poètes, même si certains échanges se font l’écho de conflits entre certains d’entre eux. Elles confèrent, s’il en était encore besoin, à cette poésie une évidente dimension sociale et sont les seules à rompre parfois le moule des topiques de forme et de pensée qui modèle généralement l’inspiration des poètes.

-Les cantigas sont de deux sortes: la cantiga de meestria, structure ouverte de deux à dix couplets sans refrain ni reprise; la cantiga à refrain, généralement plus brève, qui reproduit à la fin de chaque couplet certains éléments du refrain initial. Seules ces dernières relèvent du genre lyrique.

C’est surtout dans la forme de la cantiga que Villasandino s’exerce à composer en galicien. Le Chansonnier de Baena en a retenu 20, ce qui est considérable, compte tenu du fait qu’il n’en conserve, du même auteur, que 26 en castillan. Il s’agit, pour la plupart, de chansons d’éloges adressées à des dames, soit à l’initiative du poète, soit à la demande de certains de ses amis. Dans le premier cas, les destinataires sont Juana de Sossa, « mançeba del rrey don Enrrique » (9 cantigas), la reine de Navarre, soeur du roi Jean Ier (4 cantigas), María Cárcamo, autre « mançeba del rrey don Enrrique » (1 cantiga), et une dame qui est restée anonyme (1 cantiga); dans le second cas, doña Beatriz, épouse du comte don Pero Niño (2 cantigas).

Existe-t-il des indices qui permettent de préciser les raisons de l’emploi d’une langue ou d’une autre? La disposition des pièces peut nous en fournir quelques-uns. On observe, en effet, trois concentrations de cantigas en galicien.

– a) De 10 à 19. La série commence par une cantiga dédiée à doña Beatriz et se poursuit par 10 cantigas dédiées à Juana de Sosa, dont 3 seulement en castillan (12, 16 et 18).

– b) De 22 à 27. Une série continue de 6 cantigas en galicien consacrées respectivement au roi don Juan (22), a doña Juana de Sossa ou la reine de Navarre -le compilateur hésite- (23), à María Cárcamo (24), enfin, à la reine de Navarre (25 à 27).

– c) De De 43 à 47. 4 cantigas dédiées à doña Juana de Sosa (43 et 45) et à la reine de Navarre (46 et 47), entre lesquelles s’intercale une cantiga en castillan dédiée à une dame anonyme (44).

Ce tableau de répartition des cantigas en galicien, dans le corpus des œuvres de Villasandino, appelle quelques remarques. Nous savons, depuis les travaux de Barclay Tittmann et d’Alberto Blecua, que le contenu du Chansonnier de Baena a subi quelques modifications. Il est fort possible, par exemple, que la série c) ait été déplacée de sa position originelle. On y trouve, en effet, la seule mention de la qualité de Juana de Sossa « mançeba del rrey don Enrrique » (43), alors que les rubriques des autres cantigas consacrées à cette dame, même lorsqu’elles figurent avant celle-ci dans le Chansonnier, la donnent déjà pour connue (« la dicha doña Juana de Sossa » ou « la dicha doña Juana »). En bonne logique, la pièce 43 devrait donc se trouver avant le poème 11. Ceci pourrait nous conduire à placer la série c) juste avant la série a). Les conséquences d’un pareil transfert, sans être négligeables, sont peu importantes pour l’analyse que je mène ici. Tout au plus, aurait-il pour effet de réduire les séries à deux et de grossir singulièrement la première.

La seconde remarque qu’il convient de faire concerne les motifs de cet agencement. A quelles normes répond-il? L’identité du (ou de la) destinataire est un critère visible dans la constitution de séries: série de cantigas d’éloges à la ville de Séville (28 à 31bis), à la Vierge (1 et 2) et à doña Mayor, seconde épouse du poète (5 et 6 -et peut-être plus, compte tenu que le manuscrit présente là une lacune-). Ce critère joue aussi dans les séries à dominante galicienne en faveur de doña Juana de Sossa (11 à 19, à l’exception de 12) et, à un moindre degré, en faveur de doña Beatriz et de la reine de Navarre.

Un autre critère parfois retenu est d’ordre thématique et formel. L’illustration la plus frappante est constituée par les cantigas 40 à 42, qui, dans leurs premiers vers, présentent une analogie verbale évidente:

40: Por vna floresta estraña / yendo triste muy pensoso

41: Por vna floresta escura / muy açerca de vna presa

42: En muy esquiuas montañas / apres vna alta floresta.

On pourrait en dire autant des deux pièces qui suivent:

43: Amorosso rryso angelical

44: Vysso amoroso / duelete de my.

On a pu voir aussi dans cet agencement, et à la lecture des rubriques des poèmes, un classement chronologique des œuvres de Villasandino[11]. On ne peut écarter l’hypothèse en ce qui concerne les cantigas, car le petit nombre de dames concernées est tout à fait compatible avec une période de composition restreinte. Pourtant, l’argument ne tient pas lorsque l’on situe ces dames dans le temps. Doña Juana de Sossa, si l’on en croit Azáceta, fut une maîtresse du roi Henri II et se serait retirée de la vie de Cour à la mort de ce dernier. Les poèmes qui lui sont dédiés seraient donc antérieurs à 1379. L’infante Leonor, fille de ce roi, devint reine de Navarre en 1387, lorsque son mari, Charles III, accéda au trône. La cantiga 26 est probablement de 1375, date de son mariage avec le prince navarrais. Mais il est délicat de dater les autres, même si la mention « reine de Navarre » que comportent les rubriques nous conduisent à les situer après 1387: il peut s’agir, en effet, d’une facilité d’expression du compilateur, qui travaille à une époque où la turbulente Leonor est connue comme étant « la reine de Navarre » [12]. Nul doute qu’à cette époque sa position lui ait permis d’entretenir auprès d’elle de nombreuses suivantes de bonne famille capables d’inspirer des vers élogieux à Villasandino (41). L’auteur de la Chronique de don Pero Niño[13] affirme qu’elle se mêle encore à des réjouissances publiques à l’époque de la régence de son neveu, Ferdinand d’Antequera, entre 1406 et 1412. Une autre dame célébrée par Villasandino, Beatriz, apparaît dans la même chronique, dont le héros sera son mari, autour de 1409. Enfin, à en juger par le ton désabusé de la cantiga 6, le poète a passé l’âge des enthousiasmes amoureux à l’époque où il dédie ce poème à sa « dernière » femme.

Tout laisse à penser, par conséquent, que Villasandino utilise le genre de la cantiga pendant la plus grande partie de sa vie de poète. Or, dans les séries décrites plus haut, le galicien coexiste avec le castillan. Il faut donc chercher ailleurs que dans la chronologie d’écriture la raison d’être de cette langue dans sa production.

La présence conjointe de pièces de la même veine, dédiées aux mêmes personnes, peut nous apporter quelques lumières à ce sujet. Qu’est-ce qui distingue, par exemple, la cantiga 12, écrite en castillan, des cantigas écrites en galicien qui l’entourent? Qu’est-ce qui a pu pousser le poète à en écarter soigneusement toute galicianisme d’expression? Rien dans le thème, ni le ton: peut-être seulement un désir de respecter la vraisemblance, la scène étant supposée se passer « après le Guadalquivir ». C’est ce même souci de vraisemblance qui semble présider au choix du castillan pour les poèmes consacrés à la ville de Séville (28-31bis). De même, pour les pièces 5 à 9, pourrait-on déceler une prise en compte de l’origine familiale des destinataires: tant Juana de Sossa que Beatriz appartiennent à des familles venues du Portugal. Mais comment expliquer, dès lors, que le poète consacre plusieurs cantigas en galicien à la reine de Navarre, et qu’il utilise cette langue pour adresser une requête au roi don Juan de Castille? Que ce dernier ait épousé en secondes noces une princesse portugaise ne constitue pas une explication suffisante, on en conviendra: que l’on sache, le poète n’a jamais usé du navarrais à l’intention de la reine Leonor.

Il faut se rendre à l’évidence, Villasandino manifeste, en ce qui concerne le genre de la cantiga, une certaine prédilection pour le galicien. Cette prédilection se manifeste également sur le plan formel par une plus grande diversité de formes métriques dans les pièces composées en cette langue que dans celles composées en castillan. Il nous faut être prudent, car le corpus n’est pas assez étendu pour autoriser des conclusions indiscutables, mais on perçoit une tendance nette, de la part du poète, à réserver le galicien aux innovations métriques, qui sont parfois d’une remarquable complexité[14].

Ces considérations peuvent-elles aussi s’appliquer aux dits narratifs? En voici un inventaire descriptif (Je reprends la numération d’ensemble des pièces de Villasandino).

21. Amigo señor franqueza desdeña : bollicios nin guerra por ser enlocados. 3×8, 3. Arte mayor. Respuesta a una pregunta, también en gallego de « un bachiller en artes de Salamanca ».

22. Pues de cada dia nascen : deitadores. 5×9, 5. (8 octos+ 1 tétra). Dezir a manera de pregunta e rrecuesta contra los trobadores.

23. Garcia amigo ninguno te espante : ganaste vileza e canbio astroso. 4×8… arte mayor. Dezir contra Garcia Fernández de Gerena quando se torno moro.

24. Andando cuydando en meu ben cuyde : de meu grant cuydado porque me lexasse. 1×8. Copla (de arte mayor) de consonantes doblados « por escura ».

25. Conselladme ora amigo : como me mandays que syga. 8,4 octos. Dezir fecho por arte de macho e fenbra.

26. Amor poys que vejo os boos fugyr : porque me fazades morer nin penar. 4,8×4. Dezir contra el amor (responde al anterior, en castellano, « loando al amor »)

27. A quen ajuda o rey ensalçado : fugir canto mays vn mago cuytado. 4×8. Autoría dudosa. A don Gutierre de Toledo quando fue electo de Toledo (?)

La pièce 21 est une réponse. Elle conclut un long échange entre un bachelier ès-arts et notre poète (B84-95). Cet échange se fait en castillan à l’exception de la dernière question du bachelier qui est composée en galicien, ce qui provoque, naturellement, une réponse dans la même langue. La même tonalité, à la fois savante et polémique, se poursuit avec 22, une requête contre les rimailleurs de tout acabit, où l’on trouve une attaque contre les mauvais poètes et, en même temps, une défense et illustration du métier et du talent de l’auteur.

Le dit contre García Fernández de Gerena, bien qu’il corresponde à la même veine burlesque et polémique, offre, du fait de son thème, une possible justification du choix du galicien. Utiliser la langue de la terre où repose l’Apôtre Matamore n’est pas fortuit lorsque l’on entreprend de dénoncer une apostasie au profit de l’Islam.

Le « dit contre l’amour » (25) ne saurait être isolé du précédent, consacré, lui, à faire l’éloge du dieu. Le rapport entre ces deux poèmes est d’autant plus évident que tous deux présentent des analogies formelles: même strophe; même disposition de rime; enfin, la rime –a (-ar), constante tout au long du premier, se retrouve en clôture du second. Pourtant, seul le second est composé en galicien. Faut-il interpréter ce fait comme une manifestation de la propension du poète à recourir au galicien chaquefois qu’il use de l’invective?[15]

Les pièces 24 et 25 ont en commun d’être de purs exercices de virtuosité. La première, qui joue sur la figure étymologique à partir de la racine cuydar, s’inscrit dans la double tradition du trobar clus, cher aux troubadours, et aussi aux grands rhétoriqueurs. Pour la seconde, le jeu consiste à associer à la rime deux mots identiques à ceci près que l’un s’achève en -o et l’autre en –a, d’où le libellé de la rubrique qui parle « d’art de mâle et femelle ».

Le trop petit nombre de poèmes concernés, la variété des thèmes ainsi que la diversité des circonstances d’écriture ne permettent pas, sur le choix de la langue de composition, de tirer des conclusions plus sûres que celles qu’autorisait l’analyse des cantigas. On ne peut manquer de relativiser l’originalité de telle composition au regard de son contexte: ainsi de la pièce 24, qui se situe dans une série de quatre poèmes déclarés énigmatiques par le compilateur, dont trois sont rédigés en castillan. Cependant, il est permis de reconnaître deux motivations principales chez le poète, lorsqu’il choisit de s’exprimer en galicien: soit une volonté polémique, soit un élan de virtuosité. On rejoint par là, comme je le soulignais plus haut, deux grands courants de la poésie provençale et française: le courant satirique illustré par le sirventès et le courant de l’écriture hermétique qui a si souvent tenté les poètes savants. Faut-il s’étonner qu’en cette fin du XIV° et début du XV° siècle, un imitateur castillan préfère parfois user de la langue galicienne pour retrouver ces pratiques et cet esprit poétique? Certainement pas, si l’on veut bien considérer que la production dans cette langue a servi, dans la Péninsule, de réceptacle et de relais à la poésie des troubadours.

Mais tout aussi significatif de la spécificité du galicien, en tant que langue poétique, chez un Villasandino, est l’inventaire des genres et des thèmes où cette langue n’apparaît pas. J’ai relevé deux cas particulièrement « parlants ». Le premier concerne la poésie « politique », celle qui fait l’éloge d’un protecteur, roi, prince, grand du royaume à quoi l’on peut joindre les éloges funèbres et épitaphes poétiques d’illustres disparus. Cette veine, lente à se manifester pendant les règnes des trois premiers Transtamares, prend des proportions plus considérables, -la nécessité aidant-, à la fin de la vie de Villasandino.. Mais l’inspiration qui donne lieu au plus grand nombre de pièces dont le galicien est absent, c’est celle qui conduit le poète à solliciter l’aide de ces protecteurs. Cette littérature littéralement « alimentaire » est exclusivement castillane.

Malgré les limites du corpus déjà soulignées, on voit donc se dessiner certaines tendances dans l’usage que Villasandino fait du galicien. L’absence d’une inspiration triviale tend à conférer à cette langue le statut de langue noble, « poétique ». Son domaine de prédilection est l’éloge de l’amour et de la femme aimée. Mais il lui reste à assumer encore une partie de l’héritage de la poésie des troubadours, qu’elle a servi dans la Péninsule dès le XIIe siècle, ce qui l’autorise à investir parfois le domaine de la satire, sans pour autant atteindre celui de la grivoiserie, de l’érotisme ou de la scatologie. Enfin, elle ne manifeste apparemment pas beaucoup de prédilection pour les poèmes longs, comme si elle craignait d’user assez vite la capacité de réception de ses auditeurs. Langue de tradition qui a cessé d’être familière, elle joue le rôle de ces vieilles cousines auxquelles on continuait, dans les maisons d’autrefois, à laisser le soin de certaines tâches, non sans les réduire toutefois pour les confier à des bras plus vigoureux. Ce qui semble évident, en tous les cas, c’est que Villasandino a vécu ce renfermement de la langue poétique galicienne dans un domaine de plus en plus réduit. Il n’est pas interdit de penser qu’il en a eu conscience et que l’importance relative de sa production dans cette langue soit le résultat d’une volonté de prolonger sa permanence.

Mais tournons-nous vers les autres poètes du chansonnier qui ont composé dans cette langue, et tentons de vérifier si on retrouve chez eux les tendances perçues chez Villasandino.

Nous ne pourrons tirer guère d’enseignements des œuvres de Gonzalo Rodríguez, puisque ses quatre cantigas ainsi que son dit-testament sont composées en galicien. S’agissant de l’archidiacre de Toro, ville du royaume de León, peut-être faut-il voir là simplement le recours à la langue naturellement pratiquée par ce personnage, encore que son galicien n’offre pas plus d’authenticité que celui dont usent les poètes d’origine castillane.

Le galicien Macías, le poète amoureux par antonomase, figure pour cinq cantigas. Seules deux sont composées dans sa langue natale. Elles se distinguent de celles qui les accompagnent par des analogies formelles évidentes: couplets de 7 vers suivis d’une paire; même disposition des rimes; les paires correspondent à des insertions de proverbes, dans un cas, de citations (trebellos), dans l’autre. Elles renvoient toutes deux à un corpus de textes préexistants, dont il est permis de penser qu’il détermine le choix de la langue de composition.

De Pero González de Mendoza le compilateur a retenu quatre poèmes, tous d’inspiration amoureuse[16]. Deux sont en galicien: il s’agit de desfechas ou chansons chargées de prolonger et d’illustrer lyriquement un thème traité auparavant dans une veine plus narrative. Mais gardons-nous de tirer des conclusions hâtives, car le poème qui suit ces deux desfechas est une pastourelle, dont la tradition galaïco-portugaise aurait pu justifier qu’elle fût rédigée en galicien et non en castillan, comme c’est le cas.

Le cas de Garci Fernández de Jerena est analogue, même si le nombre de poèmes reproduits est très supérieur: douze au total. Le choix de la langue ne semble pas répondre à une nécessité clairement perceptible. La transformation du poète en ermite, ses prières et suppliques adressées à Dieu au moment même où il s’apprêtait à le trahir pour l’amour d’une belle musulmane, puis -circonstance aggravante- pour les beaux yeux de la soeur de celle-ci, donnent lieu à des pièces dans l’une ou l’autre langue. Le dernier poème reproduit mérite une mention spéciale. Il s’agit d’une chanson de condamné faite à l’occasion de l’exécution publique à Ségovie d’un certain Fernán Rodríguez[17]. Le choix de la langue est peut-être déterminé par un souci de réalisme si le condamné était galicien ou léonais.

Enfin, de Pero Vélez de Guevara, nous avons six poèmes, quatre dits et une cantiga. Seul un dit est composé en galicien. Il s’agit d’une pièce satirique à l’encontre d’une dame de la noblesse trop âgée, trop laide et trop pauvre pour pouvoir prétendre trouver un mari.

La contribution de ces poètes au Chansonnier ne contredit donc pas les hypothèses émises à partir de l’analyse des œuvres de Villasandino. Les genres que n’a pas pratiqués Villasandino dans des pièces en galicien ne le sont pas non plus par ses contemporains: ni pièce politique, ni littérature « alimentaire »; une place de choix, en revanche pour l’élan lyrique ou la satire.

Jusqu’à maintenant, pour désigner la langue employée par ces poètes, j’ai employé l’adjectif « galicien », alors que les linguistes qui se sont penché sur ces textes ont souligné le caractère hybride de cette langue, qu’il serait plus exact de caractériser de castillan mâtiné de galicien. De même a-t-on pu définir des degrés différents de galicianisme selon l’origine des poètes[18]. Le débat linguistique est parfaitement respectable et je n’ai pas cherché à l’occulter. Mais il n’est que de peu d’utilité dans une approche non strictement linguistique de cette production. Ce qui est en cause ce n’est pas le degré plus ou moins grand de galicianisme de ces poèmes, mais la présence de traits linguistiques qui rompent avec la norme castillane. Car cette seule présence, pour modeste qu’elle soit, est significative d’une volonté de rattacher cette poésie à une tradition qui, en l’occurrence, est plus sociologique et littéraire que linguistique. N’y aurait-il qu’un seul trait de phonétique galicienne dans chaque poème que cela suffirait à nous obliger à prendre en compte le phénomène et à reconnaître qu’il ne s’agit plus d’une littérature castillane. Et cela nous contraindrait à nous interroger sur les raisons d’un écart par rapport à la norme linguistique du castillan. Ces écarts ont la valeur de signes et il nous reste à les interpréter[19]. Signe d’une origine géographique? D’une revendication de « patrie » littéraire péninsulaire, face, à la fois, au castillano-centrisme et à l’influence jugée excessive de la littérature d’outre-Pyrénées? Signe d’une identification générationnelle face à la nouvelle école castillane? Ou tout cela à la fois? Voilà ce qu’il conviendrait d’étudier de près.

Pour clore cet exposé, je me propose de vous présenter rapidement un autre texte galicien contenu dans le Petit chansonnier de Paris. Nous aurons ainsi l’occasion de vérifier si certaines des conclusions proposées plus haut sont acceptables en dehors de la production contenue dans le Chansonnier de Baena. ou s’il s’agit d’un trait spécifique de ce dernier.

On a tout lieu de penser que ce recueil fut composé dans le scriptorium de la famille du Chancelier Ayala. L’essentiel des œuvres et documents qu’il contient datent des premières années du XVe siècle et certaines appartiennent à des poètes qui figurent parmi ceux de la première génération du Chansonnier de Baena[20]. L’œuvre qui nous intéresse ici est un poème de 5 huitains d’octosyllabes dû à la plume de Ruy González de Clavijo, au moment où il s’apprête à s’embarquer, en 1403, pour diriger une ambassade du roi Henri III de Castille auprès de Tamerlan. Sa femme, doña Arias Mayor, adresse à la mer une supplique non exempte de menaces, lui enjoignant de ménager son mari pendant une si perilleuse expédition. Il s’agit, en fait, d’une imitation d’un villancico populaire, comme l’a démontré excellemment Jane Whetnall[21].

Dans cette pièce, la jeune femme laisse percer quelques accents de sincérité d’autant plus perceptibles que le style est souvent maladroit et emprunté. Son mari lui répond sur un ton plus léger, non sans quelque conformisme d’écriture ni maladresses formelles, défauts qui dénotent là aussi un apprenti rimailleur. Ces pièces ne mériteraient de figurer en bonne place dans la poésie castillane si elles ne présentaient quelques caractéristiques extra-littéraires remarquables. La principale est, sans doute, que le poème de doña Mayor Arias est une des rares œuvres témoignant d’une création poétique authentiquement féminine. Mais c’est un autre trait qui me conduit à le mentionner ici: le fait que la réponse du mari est rédigée en galicien.

Nous voici replongés dans une problématique assez proche de celle que nous avons rencontrée dans le recueil de Baena. L’association de deux œuvres composées l’une en castillan, -celle de la dame-, l’autre en galicien, -celle du mari- nous conduit à nous interroger sur cette dualité et cette coïncidence de deux langues différentes dans un contexte unique. Jane Whetnall croit déceler, dans ces deux choix opposés, une contradiction symbolique: l’adhésion à la mode du côté de l’homme; la mission de conserver la tradition autochtone chez la femme. En somme, l’homme, détenteur du pouvoir, se rattacherait à une culture savante, courtisane, cependant que la femme soumise serait la gardienne du temple de la culture populaire. Autant dire que le choix du galicien par Clavijo relèverait ici d’un simple snobisme d’écriture. L’hypothèse de J. Whetnall a l’avantage de s’intéresser à une dimension sociologique de la création littéraire qu’il convient de ne pas négliger, mais il me semble qu’elle pêche par manque de perspective historique. Car elle pose, de fait, l’antériorité du castillan sur le galicien et, accessoirement, l’antériorité du poème de Clavijo par rapport à celui de sa femme[22].

Celle-ci choisit de composer en castillan sa vigoureuse mise en garde contre une mer personnifiée. Qu’elle ne fasse que prolonger ainsi le modèle poétique qu’elle s’est donné n’apporte pas d’explication convaincante, car il faudrait expliquer aussi le choix primordial du villancico castillan. Pourquoi son mari recourt-il au galicien? Nul ne le saura sans doute jamais. Observons, cependant, que son poème n’est pas, à proprement parler, une réponse à celui de sa femme puisque celui-ci ne lui était pas nommément adressé. Tout au plus prend-il appui sur l’évidente tristesse de son épouse au moment de son départ pour l’assurer de sa fidélité pendant sa longue entreprise. Mais n’oublions surtout pas que nous avons à faire là à une littérature ancillaire, qui n’aurait sans doute pas eu droit de cité dans un chansonnier tel que celui de Baena, alors même que la notoriété de Clavijo, auteur d’un récit très apprécié de son expédition, l’en rendait digne. Nous touchons donc probablement à une pratique profonde de la poésie, à un réflexe d’écriture ancré dans le comportement littéraire de toute une génération de lecteurs.

Or que voyons-nous? Sur les cinq couplets de son poème, Clavijo en compose quatre en galicien et un, le dernier, en castillan. Simple relâchement de l’attention de l’auteur dont la capacité à mener jusqu’à son terme un poème en galicien excéderait les forces?[23] La raison est sans doute plus simple. Dans les deux derniers couplets, en effet, le poète conclut sur des proverbes. Or il se trouve que celui qu’il insère dans le couplet 5 est castillan. Il se peut donc que Clavijo ait simplement mis son texte en conformité avec sa conclusion. Ceci nous conduirait à conclure que l’alternance de castillan et de galicien démontre qu’aux yeux du poète il n’existe pas une véritable contradiction entre ces deux langues poétiques, puisqu’il est capable de les associer dans le même poème.

Nous ne sommes pas si loin, par conséquent, de la problématique soulevée par la présence d’une poésie galicienne dans le Chansonnier de Baena. Si les développements ultérieurs de la production poétique en Castille nous informent que le galicien est en passe de tomber en désuétude, il continue, au début du XVe siècle, à occuper une place non négligeable dans la pratique des poètes castillans. Il ne constitue en rien un corps étranger en cours d’expulsion mais, au contraire, un recours utile dans certaines circonstances de genre ou de thème. Tant que les poètes ont continué à pratiquer certaines formes traditionnelles ou ont cru poursuivre une certaine tradition poétique, ils n’ont pas hésité à utiliser la langue des poètes du royaume léonais. C’est, en fin de compte, l’apparition de nouveaux courants, principalement celui de la poésie allégorique inspirée des italiens, qui les conduisit à abandonner une langue qui n’avait aucune lettre de noblesse à faire valoir dans ce domaine. Et s’il y eut snobisme, je soupçonne qu’il dut plutôt fonctionner comme un facteur de rejet de la part de poètes qui cherchaient plus à imiter un Francisco Imperial et ses disciples qu’à maintenir une tradition qui pouvait les faire passer pour des rétrogrades.

Rien ne permet, en tous les cas, de penser que les poètes de la fin du XIVe et du début du XVe siècles vécurent passivement cette coexistence des deux langues. Ils durent les assumer toutes deux et s’ils se séparèrent de l’une d’entre elles, c’est qu’elle leur parut avoir fait son temps.


Poèmes d’Alfonso Alvarez de Villasandino

1-2: dédiées à la Vierge

3. La novela esperança : adorando el seu pendon. 7×4 octos.

Cantiga. en loores del rrey don Juan, fijo del rrey don Enrrique el viejo, quando rreyno nuevamente.

4: dezir al Infant Ferdinand

5-6: cantigas a doña Mayor, "dernière" épouse du poète

7-9: cantigas à diverses dames

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Série a)

10. La que syenpre obedeçi : sy es doña nin donzella. 3×8 octos + Tris. en 5.

Cantiga por ruego del conde don Pero Niño por amor e loores de doña Beatriz su muger

11. Entre Doyro y Miño estando : que no mundo muyto val. 6×8 octos.

Cantiga por amor e loores de doña Juana de Sossa.

12: a doña Juana de Sossa

13. Poys me non val seruir nin al : que ten meu cor. 4 (octo-penta), 4×10 (4 octos + 6pentas)

Cantiga. por amor e loores de doña Juana de Sossa

14. Desque de vos me parti : elo non cessan chorando.3×8 octos.

Cantiga por amores e loores de vna señora

15. Bien aia miña ventura : muytas vezes he folgura. 4, 5×8 octos.

Cantiga por amor e loores de doña Juana de Sossa

15bis. Ay meus ollos que quisistes : mellor non vy. 4×11 (9 octos + 2 pentas).

Cantiga (sans rubrique)

16: Acabada ffermosura : loare ssempre de grado. 4×8 octos

Cantiga a Juana de Sossa

17. As doncelas denle onor : por quen nonbrar non oso. 4×9 (4 octos+ 3tétras-pentas+ 3 octos), 5 (2tétras.-pentas + 3 octos)

Cantiga por amor e loores de doña Juana de Sossa

18: Crueldat e trocamento / morrey sin meresçimiento

Cantiga por amor e loores de Juana de Sossa

19. Tempo ha que muyto affane : de meus ollos non vos ver. 4×8 octos.

Cantiga por amor e loores de doña Juana de Sossa.

________________________________________

20: id. 15

21: contra el amor

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Série b)

22. Triste ando de conuento : non entendo ser guarydo. 4×14 octos-tétras-pentas.

Cantiga en loores del rey don Juan como a manera de peticion

23. Syn fallia me conquiso : desta sseñora mia. 6, 4×13 octos-tétras-pentas.

Cantiga por amor e loores de doña Juana de Sossa o a la reina de Navarra

24. Byua senpre ensalçado : y heu ledo e muy pagado. 4, 5×8 octos.

Cantiga por amor e loores de doña Maria de Carcamo, mançeba del rrey don Enrrique.

25. Ay que mal aconsellado : bon parescer acabado. 4, 5×8 octos.

Cantiga por amor e loores de la reina de Navarra, hermana del rrey don Juan

26. Tryste soy por la partida : poys non so nin fuy fallida. 4, 3×8 octos.

Cantiga quando desposaron la rreyna de Navarra con don Carlos porque sse yua

27. Poys me non val : vos mandade guarirme. 4, 3×8 pentas-octos alternés.

Cantiga por manera de desfecha a la cantiga anterior. A la reina de Navarra.

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28-31bis: à la ville de Séville

32: a Beatriz

33. Loado sejas amor : tu sejas meu judgador. 4, 4×8 octos.

Cantiga al conde don Pero Niño por amor e loores de la dicha doña Beatriz

34-39bis: dezires à la mort d’Henri III

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Série c)

40-42: cantigas à diverses dames

(anonyme; suivantes de la reine de Navarre et Beatriz)

43. Amorosso risso angelical : dolor e grant cuyta mortal. 4, 2×8 octos. Cantiga.

por amor e loores de doña Juana de Sossa, mançeba del rrey don Enrrique.

44: à une dame anonyme

45. De grant cuyta sofridor : ande e ando e andare. 4×8 octos. Cantiga

por amor e loores de la dicha doña Juana de Sossa.

46. Por amores de vn estrella : certo soy por seu talante. 4×8 octos. Cantiga.

en loores e alabança de la señora reyna de Navarra

47. Desseoso con desseo : desseando todavya. 4×6 octos. Cantiga

por desfecha de la anterior (19)

48-51: à doña Juana de Sossa

Preguntas y respuestas, Dezires.

21. Amigo señor franqueza desdeña : bollicios nin guerra por ser enlocados. 3×8, 3. Arte mayor. Respuesta a una pregunta, también en gallego de « un bachiller en artes de Salamanca ».

22. Pues de cada dia nascen : deitadores. 5×9, 5. (8 octos+ 1 tétra). Dezir a manera de pregunta e rrecuesta contra los trobadores.

23. Garcia amigo ninguno te espante : ganaste vileza e canbio astroso. 4×8… arte mayor. Dezir contra Garcia Fernández de Gerena quando se torno moro.

24. Andando cuydando en meu ben cuyde : de meu grant cuydado porque me lexasse. 1×8. Copla (de arte mayor) de consonantes doblados « por escura ».

25. Conselladme ora amigo : como me mandays que syga. 8,4 octos. Dezir fecho por arte de macho e fenbra. Le suivant, en castillan, aussi.

26. Amor poys que vejo os boos fugyr : porque me fazades morer nin penar. 4,8×4. Dezir contra el amor (responde al anterior, en castellano, "loando al amor")

27. A quen ajuda o rey ensalçado : fugir canto mays vn mago cuytado. 4×8. Autoría dudosa. A don Gutierre de Toledo quando fue electo de Toledo (?).

 

Poys me boy sin falimento

onde Deus touer por ven

de vos Deus consolamiento

que todo el mundo manten

Señora de prez loada

do meu cor faze morada

con que falledes plazer.

Deus vos tena en seu encomenda

porque sejades guardada

de todo mal syn contienda

de alegria aconpañada

de lealtad bien guardada

porque en toda vosa vida

amedes muy puramenta mi que soy voso seruiente.

Que por donde quier que fore

boso serie syn dudança

menbrandou de gentil flor

de bosa gentil senblança

por la qual mi coraçon

sufrira tribulaçion

fasta que seja tornado

ver voso viso adonado.

 

Meus amigos toda ora

quantos me queredes ben

confortad a mi señora

que non cure de otro rren

synon de lexar tristura

et veuir en grand folgura

que el que ben atende auer

non deue quexoso ser.

Que non fare demudança

della en ninguna guisa

que por firme lealtança

amor me dio por deuisa

por lo qual a Deus plaziendo

escreui asy diziendo

que el que bien esta e se muda

non faz como Rex ssesuda.

 



[1]. La synthèse la plus récente est celle de Claudine POTVIN, Illusion et pouvoir. La poétique du Cancionero de Baena. Montréal-Paris, 1989. Il faut y joindre l’excellent travail de Giovanni CARAVAGGI: "Villasandino et les derniers troubadours de Castille". Mélanges offerts à Rita Lejeune. Gembloux: éd. J. Duculot, 1969. Vol. I. P. 397-421.

[2]. Je l’ai consulté directement. J’ai également utilisé d’édition de José María AZACETA. Madrid, 1966.

[3]. Une édition est en cours par D. Severin et moi-même.

[4]. Alberto BLECUA, "Perdióse un quaderno_ Sobre los cancioneros de Baena". Anuario de Estudios Medievales. Barcelona, 1974-1979. P. 229-266.

[5]. "en el qual libro generalmente son escriptas e puestas e asentadas todas las cantigas [_] e todas las preguntas [_] e todos los otros muy gentiles dezires [_] e todos los otros muy agradables e fundados proçessos e requestas que en todos los tiempos passados fasta aqui fizieron e ordenaron e composieron e metrificaron el muy esmerado e famoso poeta maestro e patron de la dicha arte Alfonso Aluarez de Villasandino e todos los otros poetas frayles e religiosos maestros en theologia e cavalleros e escuderos e otras muchas personas sotiles que fueron e son muy grandes dezidores e omnes muy discretos e bien entendidos en la dicha graçiosa arte." (Souligné par moi)

[6]. Pour être plus exact, il faudrait préciser que Baena ne s’intéresse pas à toute forme de poésie. Il ne retient que la poésie savante, celle qui s’écrivait, et à condition qu’elle respectât les règles de composition prônées par les tenants du gai savoir. Mais, dans ces strictes limites, il est permis de penser que le compilateur n’a pas cherché à effectuer un choix. Une étude quantitative de l’importance relative des productions, en fonction de la langue utilisée, me parait donc parfaitement justifiée.

[7]. Cf. le précieux témoignage, qui date de ca 1449, du Marquis de Santillane: "E despues fallaron esta arte que mayor se llama e el arte comun creo en los reynos de Gallizia e de Portogal donde no es de dubdar quel exerçiçio destas sçiençias mas que en ningunas otras regiones e provinçias de la España se acostunbro en tanto grado que non ha mucho tienpo qualesquier dezidores e trobadores destas partes agora fuessen castellanos andaluzes o de la Estremadura todas sus obras conponian en lengua gallega o portuguesa [_]" (Souligné par moi). Carta-Prohemio al Condestable de Portugal. Obras completas. Ed. A. Gómez Moreno et M. P. A. M. Kerkhof. Barcelona: ed. Planeta, 1988. P. 448.

[8]. B. DUTTON, Catálogo-índice de la poesía cancioneril del siglo XV. Madison, 1982. Ce catalogue est complété par une édition du contenu de ces manuscrits due au même auteur: El cancionero del siglo XV. Salamanca: Biblioteca española del siglo XV. En cours de publication.

[9]. Nous devrons cependant nuancer ce dernier point lorsque nous tenterons de préciser la nature linguistique de ce galicien poétique.

[10]. Sur la place de Villasandino dans le Chansonnier de Baena, voir la contribution toujours essentielle de Giovanni CARAVAGGI: "Villasandino et les derniers troubadours de Castille".

[11]. Selon A. Blecua, p. 263 n.41, Baena a dû utiliser "una colección de poemas de Villasandino ordenada por el propio poeta, de ahí que mantenga con tanta exactitud el orden cronológico dentro de cada género y tema". Mais l’ordonnancement original de ces poèmes a été modifié dans la copie qui nous est parvenue, ce qui invite à tirer des conclusions prudentes de la place qu’occupent les pièces en galicien par rapport à celles qui les entoure.Mais, on peut admettre que l’ordre général des œuvres de Villasandino était le suivant: cantigas, preguntas y respuestas, dezires.

[12]. Rappelons, à ce propos, qu’elle refuse de rejoindre le royaume de son mari, et qu’elle séjourne à la Cour de Castille, où elle joue un rôle actif dans le Conseil de régence mis en place à la mort de son frère, de 1387 à 1395

[13]. El Victorial. Crónica de don Pero Niño. Ed. Juan de Mata CARRIAZO. Madrid, 1940. Cap. XCII, p. 301.

[14]. On en jugera par l’inventaire que je donne en annexe où je signale schématiquement les formes métriques adoptées par le poète pour chacune de ses pièces.

[15]. G. CARAVAGGI, "Villasandino et les derniers troubadours de Castille", p. 404, souligne le caractère remarquable de ce poème: "bien plus qu’une reprise per contrario du dezir précédent, [_] il ne tient pas seulement dans le jeu habituel des antithèses, mais renferme la protestation la plus vigoureuse et la plus décidée exprimée par un troubadour castillan". D’autant plus troublant est le fait qu’il le dise en galicien.

[16]. Mais il est possible que le chansonnier primitif ait contenu plus de poèmes de lui. Cf. Alberto BLECUA, "Perdióse un quaderno_ Sobre los cancioneros de Baena". P. 260.

[17]. "Esta escritura fizo e ordeno el dicho Garçi Fernandez de Jerena a manera de cantiga como que la cantava por sy Ffernan Rrodryguez que degollaron en Segouia". Chansonnier de Baena. Ed. Azáceta. Poème 566, p. 1132-1133.

[18]. On trouvera une synthèse utile des débats concernant la question linguistique dans le chansonnier de Baena, dans Claudine POTVIN, Illusion et pouvoir. La poétique du Cancionero de Baena. P. 69-73.

[19]. La preuve qu’il s’agit d’un signe, c’est que ce galicianisme ne fait pas obstacle à la compréhension des textes par des non galiciens. Il relève plutôt de l’indice de reconnaissance que d’un habillage complet. Il y a matière à réflexion dans ce langage hybride, qu’il serait abusif -on en conviendra aisément- de qualifier de "bilinguisme".Et peut-être y a-t-il des enseignements à tirer de l’étude de ce phénomène pour les appliquer à d’autres langues littéraires, telles que le sayagués, ou aux prétendues jarchas "mozarabes", dont le bilinguisme a été proclamé de façon aussi précipitée qu’à mon humble avis peu justifiée.

[20]. Il contient surtout des textes en prose: une version des "lettres d’un maure de Grenade au roi don Pèdre", qui figurent aussi, dans une version modifiée, dans la Chronique de ce roi; une adresse du roi Jean Ier aux Cortès du royaume; des textes relatifs à la régence de Ferdinand d’Antequera; un récit de l’assassinat du duc d’Orléans à Paris. Les textes en vers sont: un fragment du "Traité du Schisme" appartenant au Rimado de Palacio du Chancelier Ayala, continué par un auteur anonyme; un poème de Villasandino; un autre de Pedro Velaz de Guevara; une pièce anonyme sur l’élection de Pedro de Luna au siège de Tolède; les deux poèmes que nous étudions ici.

[21]. Ce poème a été analysé par Jane Whetnall, dans sa Thèse de Doctorat. Elle a repris la substance de son analyse dans "Lírica femenina in the early manuscripts cancioneros". What’s Past is Prologue. Edinburgh, 1984. Plus particulièrement, p. 169-171.

[22]. "[_] that ladies, no less than peasant girls, were guardians of the vernacular and of a lyric tradition that enshrined the culture of their own sex, unaffected by changing linguistic trends at court". "Lírica femenina _" P. 170.

[23]. Cf. J. Whetnall: "As the poem progresses, however, the author’s resolution seems to falter and by the fifth and final stanza the language is entirely Castilian". P. 175, n. 36.

Les Amis du Vieux Chinon ont cent ans

Les Amis du Vieux Chinon ont cent ans

Les Amis du Vieux Chinon ont cent ans

 

À l’occasion des 60 ans de la Société, James Richard relate les circonstances de la fondation de notre Société, à laquelle il avait été étroitement associé par son père, témoin et acteur de l’événement. Le récit est sans doute quelque peu romancé, mais il nous transmet l’essentiel des faits et des propos.

La première étincelle jaillit un soir de l’hiver 1904, à l’issue d’une réunion de caractère corporatif. Dans une des salles de notre Hôtel de Ville, autour de plusieurs Conseillers Municipaux, deux architectes, une majorité d’entrepreneurs et plusieurs fonctionnaires de la Ville étaient rassemblés. Avant de se séparer, les assistants échangeaient les propos les plus divers, dont l’un, cependant, émergeant de cette confusion, rallia l’attention de l’assemblée. Son auteur déplorait l’inconscience et, souvent, l’indifférence avec laquelle étaient considérées tant de vieilles choses, témoins du passé local et, plus tristement encore, tant de ces édifices, exemples émouvants de l’architecture d’autrefois.

L’idée naquit d’organiser une exposition « de ces reliques » dans le but « d’éveiller, parmi les Chinonais, l’amour de notre grandeur passée ».

Tout est dit, en effet, dans cette évocation. Ces personnes, que leur goût ou leurs fonctions poussaient à se mêler de près à l’administration de la cité, partageaient un intérêt commun pour une histoire dont ils percevaient la richesse. Ils voyaient bien que cet avis n’était guère partagé par leurs concitoyens mais ils entretenaient l’espoir qu’il ne faudrait pas grand-chose pour l’éveiller chez eux. Ce projet encore vague prit corps dans une exposition et non pas, observons-le bien, dans la création d’une association spécifique, même si la fondation de celle-ci s’imposa bien vite aux yeux de tous.

Cet événement fortuit est le point de départ d’une aventure qui se poursuit depuis un siècle et qui est loin, du moins est-ce notre secret espoir, d’avoir atteint son terme.

Retracer en moins d’une heure l’histoire de notre Société pendant ce siècle d’existence est une tâche à vrai dire impossible, tant il est vrai que les péripéties furent nombreuses et que des circonstances, politiques et autres, très diverses pesèrent sur son cours. Il faudrait s’appuyer sur des informations indiscutables et exhaustives, multiplier les points de vue et jeter un regard critique sur tous les événements, même les plus apparemment anodins.

Je n’ai pour moi que d’avoir relu attentivement les comptes rendus de délibération du Bureau, du Conseil d’Administration et de l’Assemblée Générale et de pouvoir m’appuyer sur ma propre expérience ainsi que sur les témoignages que j’ai pu recueillir au long des 25 années pendant lesquelles j’ai partagé les activités de notre Société.

Dans une première partie, que je veillerai à faire la plus courte possible pour ne pas vous lasser, je dresserai un tableau statistique de la vie des AVC. Je prolongerai cette partie par une sorte d’éphéméride, dans lequel j’énumérerai des événements insolites, par eux-mêmes ou par leur répétition, en espérant vous égayer quelque peu. Enfin, dans le but de rendre hommage à Gabriel Marteau, je projetterai quelques diapositives de la précieuse collection dont son fils, -qu’il en soit remercié ici publiquement-, a bien voulu faire récemment don à la Société. [Remerciements à Micheline Dubruel, qui a accepté de dépouiller les anciennes archives à mon intention, et à Joyce Canel, dont le goût esthétique et pédagogique si sûr, m’a orienté dans le choix des diapositives].

I. Les hommes et l’administration

A. Administrateurs

En 100 ans, la Société n’a connu que 8 Présidents et seulement 3 depuis 1935, date de l’élection d’André Boucher. Celui-ci a occupé les fonctions pendant 41 ans ; son successeur, Raymond Mauny, pendant 10 ans ; l’actuel Président est en poste depuis 18 ans. Ces cas de longévité sont très exceptionnels au début de l’histoire de la Société. Entre 1905 et 1935, se sont succédé : le Dr E. Faucillon (1905-1908), James Picot, architecte municipal (1908-1913), Eugène Meschin, avocat (1913-1918), J. Fougerat, Conservateur des Hypothèques (1918-1921), Justin Richard, entrepreneur (1921-1935). Les raisons de leur démission sont multiples, et généralement liées à l’âge ou à l’état de santé. Eugène Meschin constitue, quant à lui, un cas insolite et qui reste encore pour moi passablement obscur. À peine élu, il est mobilisé et le restera pendant toute la durée de la Guerre, mais garde formellement le titre. À la fin de celle-ci, il est remplacé, sans explications, sans que l’on sache ce qu’il est advenu de lui.

Les Présidents s’appuient sur des équipes (Bureau et Conseil) qui se renouvellent constamment, soit que certains de leurs membres sont appelés à couvrir les postes de responsabilité devenus vacants, soit parce qu’ils se retirent. Parmi les membres du Bureau, on trouve des cas de longévité remarquables, comme celui du Trésorier Bouchet-Roullet, du Vice-Président René Baugin, de Justin Richard qui fut longtemps Vice-Président avant depuis devenir Président, de son fils, James C. Richard, qui occupa des postes de responsabilité de son retour au pays en 1944 jusqu’à sa mort en 1972, enfin Raymond Mauny, dont le nom apparaît pour la première fois en 1947 et qui se retirera en 1987.

B. Adhérents

Une Association ne se réduit pas à ses administrateurs, pour important que soit leur rôle, mais doit pouvoir compter aussi sur des adhérents. Ils sont près de 200, lors de la création (145 titulaires et une cinquantaine d’associés). Leur chiffre montera progressivement jusqu’à 300, chiffre qui constitue depuis une moyenne, même si, ces dernières années, nous avons approché les 400. Le chiffre est conséquent, compte tenu de la population relativement faible de la population concernée (un arrondissement dépourvu de grande agglomération et essentiellement rural). La composition de l’Assemblée a évolué, mais nous connaissons mieux celle des premières années que la composition actuelle, parce que nous avons négligé de demander à chacun d’indiquer leur profession. Ce qui frappe, sous réserve de vérification, c’est le grand nombre de notables cotisants au début du xxe siècle, élus nationaux et locaux, hommes de lettres parfois prestigieux (6 h). Un travail reste à faire pour analyser la sociologie de notre Société et se donner les moyens de mieux connaître la situation actuelle.

Une autre constante est le faible intérêt de la population locale, avec lequel contraste l’attachement à la Société des personnes qui ont dû s’expatrier. Les propos sévères tenus par A. Boucher en 1952 sont en partie encore d’actualité (6 m).

C. Statuts et fonctionnement

Les premiers statuts sont conformes aux statuts types imposés par la loi de 1901. Ils seront modifiés en 1915 pour s’adapter aux exigences de la déclaration d’utilité publique, c’est-à-dire concrètement, comme cela est clairement dit à l’époque, dans un but intéressé, permettre à la Société de recevoir des dons et des legs. Entre 1920, date à laquelle une légère modification sera apportée (cf. éphéméride) et 1986, ils ne subiront pas d’autre modification que la création en 1980 de membres associés. En 1987, un toilettage complet est réalisé afin de les adapter à une réalité qui a beaucoup changé en 80 ans.

En matière de fonctionnement, la Société se distingue des sociétés savantes traditionnelles en ce qu’elle n’instaure pas de séances de travail, malgré une timide tentative en 1909. La raison en est sans doute que les AVC ont accordé, dès leur fondation, une certaine priorité au Musée, ce qui leur a donné un statut particulier, que traduit bien l’appellation Société d’histoire locale. Pour satisfaire à la curiosité intellectuelle de ses membres, on a eu recours à plusieurs formules différentes, comme des communications en séance de Bureau ou lors des AG, mais qui furent sans lendemain. Après la Grande Guerre, la Société s’installe dans une espèce de somnolence d’où elle ne sortira vraiment que lorsque R. Mauny, ayant quitté son poste de Dakar, devint Professeur à la Sorbonne et Secrétaire Général (1964). La présence de cet homme actif, rompu dès son adolescence (avec son ami Jean Zocchetti) au travail sur le terrain chinonais, et formé à des activités telles que la recherche ou les techniques de l’exposition scientifique, donna un nouvel essor dont témoignent les comptes rendus de plus en plus nourris publiés dans le Bulletin.

À la décharge des responsables, il faut dire que la Société manque cruellement d’espace, tant pour son Musée que pour ses archives ou pour la communication avec ses adhérents. Cet état de fait connaîtra une nette amélioration lors de l’emménagement dans cette Maison des États-Généraux, même si elle présente de graves inconvénients dans la distribution de ses pièces.

D. Finances

Chacun sait que l’état des finances est un exact reflet de l’activité d’une Société et de ses rapports avec le contexte politique. Les AVC connaissent une première période relativement florissante ; elle s’offre même le luxe de dispenser ses adhérents de cotisation pendant la première année de la Guerre. Après 1919, la situation change sous le coup de l’inflation, à laquelle des personnes habituées à la stabilité du franc or n’étaient guère habitués. Ce fut un véritable traumatisme. On doit à un remarquable administrateur, le Trésorier Bouché-Roullet, dont les rapports sont des modèles de rigueur et de clarté, d’avoir maintenu la Société à flot. La fin de la Deuxième Guerre Mondiale se traduisit par un situation encore pire, car l’inflation atteint des sommets inconnus jusque là. La Société traîna ce boulet pendant 30 ans, jusqu’à ce qu’elle puisse bénéficier du providentiel héritage laissé par M. Székély, qui mérite bien d’avoir donné son nom à la salle du 2e étage du Musée. Depuis, la situation s’est stabilisée et même améliorée depuis peu, grâce à une gestion rigoureuse couplée à une adroite politique de convention et de recherches de subventions.

On ne saurait trop insister sur cet aspect, car disposer d’une certaine marge financière offre la possibilité d’une autonomie rassurante à l’égard des institutions et administrations et autorise la prise d’initiatives. Il n’y a rien de plus triste que de devoir gérer la pénurie et rien de plus satisfaisant que de pouvoir s’exprimer sans avoir à brider son enthousiasme. Quelles perspectives offrons-nous à des jeunes talents lorsque nous les invitons à partager les affres d’une gestion étroite ? Comment s’étonner dès lors qu’ils soient peu attirés par nos Sociétés ? En revanche, gageons qu’ils nous rejoindront si nous leur offrons la possibilité d’entreprendre et d’orienter dans le sens qui leur plaît les activités qui sont de leur compétence.

II. L’environnement culturel et les activités

A. Relations avec d’autres sociétés

Les AVC naissent à une époque de vide relatif en matière de sociétés culturelles. La SAT n’a pas de rivale en Touraine. Jusqu’à un certain point, la création des AVC vise à briser ce monopole, comme l’exprime franchement le premier Président lors de la séance de fondation. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter aussi la précocité et la constance des rapports que la nouvelle société chinonaise entretient avec ses voisines de Loudun et Saumur, d’importance sensiblement équivalente. Dès 1912, elles organisent en commun des excursions sur le territoire de l’une ou de l’autre, celle de Saumur ayant, en particulier, la responsabilité de susciter un intérêt historique et archéologique pour l’abbaye de Fontevraud. Les responsables des AVC accueillent volontiers, pour leur faire visiter Chinon et ses environs, des associations de toute nature et nationalité. Mais ce qui nous intéresse avant tout, ce sont les rapports qu’elle a entretenus avec les sociétés culturelles locales.

La première à se manifester, furent les Amis de Rabelais et de la Devinière (1949). Cette création éveille de la sympathie chez les responsables des AVC (7 m), sans doute parce qu’elle garantit la préservation de la Devinière, pour laquelle ils se battent depuis de nombreuses années. À l’égard du projet qui aboutira à la création de Connaissance de Jeanne d’Arc, l’enthousiasme est mitigé (7 mb). Il serait plus juste de parler de réticence. C’est que l’initiative de M. Dontanwille (1958) interfère directement avec un vieux projet des AVC, qui consistait à créer un musée consacré à Jeanne d’Arc, projet qui fut repoussé faute de lieu pour l’accueillir. Par ailleurs, notre Société n’avait pas ménagé ses efforts pour commémorer la Pucelle et se voyait, en quelque sorte, privée d’un domaine d’activités qu’elle estimait devoir lui revenir. Pourtant, le Bureau se montra très coopératif dès l’installation, en 1960, des collections dans la Tour de l’Horloge, au point que la presque totalité des responsables de la nouvelle société, dans les années 60 et 70, sont les mêmes que ceux qui, à l’époque, animent les AVC (8, h). Il en ira de même à partir de 1987, car je me refusai à succéder à R. Mauny, à la suite d’une séance éprouvante, qui ne cesse de me hanter encore aujourd’hui. Pendant quelques années, Albert Héron anima C.A.I.N.O., qui se consacra à la restauration d’édifices ou au déblaiement de dolmens et autres monuments ruraux. Cette association eut son utilité et n’entrait pas en concurrence directe avec les AVC, car elle répondait au talent réel de son promoteur pour animer des équipes sur le terrain et mobiliser des aides efficaces.

B. Activités

Je citerai pour mémoire l’activité touristique que les statuts primitifs présentent comme un des objectifs de la nouvelle Société. Elle cessa en 1938, quelques années après la création d’un syndicat d’initiatives (1931), qui rendit inutile que les AVC se préoccupent de cette question. Cette activité occupa, cependant, les responsables pendant des années, donnant lieu à la publication d’un guide illustré, qui connut trois éditions, et les obligeant à accueillir les visiteurs, c’est-à-dire à les guider dans les visites mais aussi à leur trouver un hébergement. Voici un extrait du compte rendu de l’AG de 1924 qui donne une bonne idée du programme proposé :

Accompagnés par un guide choisi par le Bureau [M. Marquis], les touristes sont conduits depuis les hôtels où ils sont descendus jusqu’au lieu de départ des auto-cars. En donnant toutes les explications utiles, le guide fait remarquer les vieilles demeures de la rue Voltaire et termine par une visite à notre musée, dont les objets les plus intéressants sont signalés aux visiteurs.

Faute de séances de travail, on aurait pu s’attendre à ce que des conférences régulières en tiennent lieu. Ce choix que nous avons personnellement fait, il y a une bonne dizaine d’années, ne fut pas celui de nos prédécesseurs. Certes, ils pratiquèrent cet exercice avec une certaine assiduité, depuis 1908, date où fut prononcée la première d’entre elles (éphéméride), mais le plus souvent dans le cadre plus restreint de l’AG ou du Bureau. Au début de son mandat, André Boucher tenta de restaurer cette pratique mais il renonça après une expérience qui connut pourtant un beau succès (Norbert Casteret, 1947, éphéméride).

Les excursions furent une pratique plus constante. Elles connurent un rythme annuel de 1908 à 1914 ; se firent très rares jusqu’au début des années soixante ; puis redevinrent annuelles à compter de 1965. Depuis cette date, la Société n’a jamais manqué le rendez-vous qui, depuis 1969, est invariablement placé au début du mois de septembre. Depuis quelques années, l’excursion annuelle est doublé de sorties d’une ½ journée pendant la belle saison, pour permettre aux adhérents « expatriés » de participer aux activités de la Société.

Parmi les autres activités notables, je citerai le feu de la Saint-Jean dont R. Mauny rétablit le rite devant l’ermitage de Jean de Chinon en 1981. Avant de danser autour du foyer, Dorothée Kleinmann avait procédé à la cuisson du pain dans le four du curé Breton, puis elle allait puiser, à minuit tapantes, en compagnie de Jean-Baptiste Zocchetti (ou de quelqu’un d’autre ?), un peu de cette eau qui est censée guérir les maux d’yeux, et que je vous conjure de ne pas appliquer sur les vôtres, pour le salut de votre santé et la préservation de ma tranquillité.

III. Défense du patrimoine

Parmi les 4 objectifs fixés par les statuts de 1905 figure en 3e lieu celui de « veiller à la conservation des sites pittoresques, des antiques demeures et autres monuments présentant quelque intérêt architectural, historique, archéologique ». Cette mission fondamentale, on suppose qu’elle était prioritaire pour les personnalités réunies à la Mairie cette soirée de l’hiver 1904 dont nous a parlé James C. Richard. De fait, elle occupe la première place dans les préoccupations des futurs administrateurs de la Société.

A. Conservation des vestiges anciens

Conscients que la richesse principale du Chinonais consiste dans les vestiges de son passé, les AVC veillent très précisément à éviter des destructions inutiles. C’est ainsi qu’elle proteste énergiquement contre la destruction de la Tour de la Parerie, dernier vestige de la muraille du xve siècle, en dépit des assurances formelles pour sa conservation, données par les autorités municipales. Le patrimoine johannique est de ceux que l’on veille le plus à ménager, même si parfois cela s’apparente à du folklore, comme pour la margelle du puits, dont il est question dès 1913 et encore en 1937. Ce désir de préserver l’archaïsme de la ville va jusqu’à vouloir redonner à certaines rues leur nom ancien, idée à laquelle R. Mauny se montre très attaché. Certaines démarches aboutissent à des résultats positifs : ainsi parvient-on à éviter que les Allemands n’envoient la statue de Rabelais à la fonderie, ce qui n’est pas un mince exploit ; ou que le pont reconstruit ne soit enlaidi par une arche de 30 m d’ouverture.

En revanche, on n’émet pas la moindre réserve contre le projet de destruction du théâtre, ni contre la démolition de l’église Saint-Jacques. Il est vrai qu’il ne restait que de rares vestiges de l’édifice primitif et que l’on veilla à sauver les plus significatifs.

Mais il ne suffit pas de conserver ce qui existe, encore faut-il que ces restes d’un glorieux passé ne soient pas défigurés par des restaurations intempestives. La philosophie prônée s’inspire du principe exprimé par G. Richault dans son Histoire de Chinon, à savoir conserver « intact le décor du passé » ou, selon une formule frappante consacrée à la préservation du château, « ne pas porter atteinte à l’austère et définitive beauté dont la nature se plaît à parer les ruines ! ». (II, 465 ; G. Richault, p. 462). Ces principes trouvent une expression privilégiée dans la volonté de restaurer « sans diminuer le cachet architectural des vieilles façades ». On dénonce donc les crépis malencontreux qui défigurent les maisons anciennes et on obtient que la Ville vote un budget propre à favoriser cette pratique de la part des propriétaires.

B. Rôle institutionnel des AVC dans la préservation du patrimoine

La Société ne se contente pas de s’attribuer à elle-même un rôle actif dans ce domaine. Elle est reconnue par l’Administration comme un acteur essentiel de la conservation du patrimoine. Dès 1920, le Ministère des Beaux-Arts lui demande de dresser une liste « des monuments et objets intéressant les arts ou l’histoire, situés dans l’arrondissement de Chinon, encore non classés et dont l’intérêt archéologique pourrait déterminer ce classement ». Dans ce même ordre d’idées, en 1966, elle est associée à la SAT pour dresser un Inventaire Général des Monuments et Richesses artistiques, sous la responsabilité du Conseil Général (prémices du poste de G. Du Chazaud ?).

Forte de cette reconnaissance institutionnelle, la Société prend en 1963 une initiative qui s’avérera riche de conséquences par la suite.

Elle « [attire] l’attention du Ministre des Affaires Culturelles sur l’intérêt historique présenté par les vieux quartiers de notre ville et lui demande de faire bénéficier Chinon de la loi du 4 août 1962 sur la protection du patrimoine artistique et esthétique de la France. Notre démarche n’a pas été vaine puisque le Maire de Chinon a été saisi de propositions de la Société Auxiliaire de Restauration du Patrimoine Immobilier d’Intérêt National (S.A.R.PI.). Des pourparlers sont en cours, une demande de création de secteur sauvegardé est dès maintenant adressée au Ministère et nous souhaitons qu’elle aboutisse bientôt à un heureux résultat. Quant à nous, nous ferons tous nos efforts pour que se réalise un projet auquel est lié l’avenir touristique de notre cité ».

De fait, peu de temps après, on apprend que « la Commission Nationale des Secteurs sauvegardés vient de retenir Chinon parmi les villes dont la partie historique mérite la mise au point d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur ». Cette initiative au plus haut niveau, qui doit beaucoup à l’entregent de R. Mauny, permit à Chinon d’être la deuxième ville de France, après Sarlat, à bénéficier des effets de la loi Malraux. Ce fut le point de départ d’une politique de sauvegarde qui n’a pas cessé depuis. Il est bon que vous sachiez que les AVC ont eu une part primordiale dans son déclenchement.

C. Les AVC et la protection des monuments

Il serait fastidieux de décrire par le menu toutes les initiatives, généralement sous forme de vœux votés par l’AG, que les AVC prirent pour défendre les monuments les plus remarquables du secteur concerné. Je ne citerai ici que les principaux en tentant de synthétiser le contenu de la demande formulée.

À tout seigneur tout honneur : le château fut un souci constant pour notre Société, surtout, bien évidemment, avant que le Conseil Général ne consacre à sa gestion des moyens conséquents. Jusqu’à la Deuxième Guerre, la philosophie était de protéger les ruines et de les entretenir. À partir de 1947, et à l’initiative de R. Mauny qui ne cessera de défendre cette thèse par la suite, on préconise la reconstitution des Logis royaux. En 1964, la demande devient plus précise puisque l’on préconise leur couverture. En 1978, on consacre 60% de l’héritage de Székély à la pose de dalles de ciment. Le but poursuivi, outre la reconstruction de cette partie de la forteresse est d’aménager des locaux pour regrouper les Musées de Chinon en un seul lieu, fréquenté par un nombre de touristes bien plus important que celui qui visite la ville.

Pour des raisons analogues, dès 1956, la Société poussera la Municipalité à acquérir les maisons du Grand Carroi, afin d’y installer son Musée, ce qu’elle obtiendra en 1963, mais seulement pour le 44, la Ville ayant dû se défaire de la Maison Rouge pour des raisons financières. De même elle fit acheter la chapelle Sainte-Radegonde en 1957, et se chargea de la remettre en état, pour une ouverture officielle en 1960. Dès 1966, elle formula le vœu de voir la Collégiale Saint-Mexme, -dans un premier temps le narthex-, libérée de l’école qui l’occupait.

Par ailleurs, elle contribua, en 1920, au classement de l’église de Parilly, à celui de la Devinière, en 1929, et participa au montage qui permit de sauver l’église de Rigny.

III. Musées, Bibliothèque et publication

A. Les Musées : locaux et objet

J’ai déjà signalé que la création d’une collection d’objets et de documents se rapportant à l’histoire de Chinon constitua le thème principal de la réunion de 1904. Cette initiative trouva immédiatement un écho favorable auprès de la population, de sorte qu’en peu de mois, il fut possible de mettre sur pied une Exposition d’Art Rétrospectif et d’Histoire Locale, inaugurée lors du Comice Agricole de 1905 (19 et 20 août). À partir de là, les faits s’enchaînent : recherche d’un local approprié (la Maison à la gargouille de la rue Jean-Jacques Rousseau), installation d’un Musée, animations autour du fonds muséographique, nouvelles acquisitions, etc. Malheureusement, la Guerre vint couper cet élan, en empêchant l’acquisition de la Maison du Gouvernement, qui aurait offert un cadre excellent à ce Musée et aux bureaux de la Société. Il fallut attendre 1922 pour disposer de locaux plus spacieux, le 81, rue Voltaire, gracieusement mis à la disposition par la Ville.

Ils s’avérèrent bien vite trop petits, malgré une extension au premier étage en 1936. Ce manque de place, constamment dénoncé par les responsables, empêcha la création d’une salle d’exposition spécialement consacrée à Jeanne d’Arc, qui aurait pu servir d’amorce à une section fournie, entièrement dévolue à la Pucelle. Le déménagement en 1973 au Grand Carroi apporta un bol d’air, bien qu’à l’usage, le bâtiment apparut plutôt mal adapté à l’usage d’un Musée.

Les collections se sont constituées peu à peu, au hasard des dons et legs, ce qui, certes, permettait de couvrir un maximum de domaines, mais n’autorisait pas une véritable politique muséale, condamnant le Musée à être une espèce de « Grenier historique » du Chinonais. Cette variété ne manque pas de charme en soi, mais exige un réel talent pour que l’exposition ne vire pas au fourre-tout. Heureusement, pour compenser cette inévitable dispersion, les AVC purent réunir certains ensembles homogènes : le dépôt des Monuments Historiques, juste avant la Grande Guerre, constitué principalement de statues (dépôt dit d’Azay-le-Rideau, parce que les objets étaient conservés dans ce château) ; certains legs et dons familiaux. Mais c’est surtout sous le mandat de R. Mauny et B. Terray, son Conservateur, et grâce à l’apport de l’héritage de Székély, que la Société constitua des fonds spécialisés : la batellerie, pour laquelle François Ayrault se chargea de construire un ensemble remarquable de maquettes ; la faïence de Langeais, la seule production de qualité dans ce domaine, pour lequel B. Terray manifestait un goût proclamé et une réelle compétence.

Il faut inscrire dans cette démarche de spécialisation des fonds la création du Musée d’Arts et Traditions Populaires de Sainte-Radegonde. Les AVC ne pouvaient pas rester indifférents à la vogue des musées des savoir-faire ruraux du xixe siècle, qui se multipliaient dans la Région comme partout en France, avant de prendre la forme d’éco-musées. Mais, en prenant l’initiative de cette création, la Société satisfaisait à deux obligations : créer un lieu d’exposition spécifique pour un matériel nombreux et parfois très encombrant ; occuper utilement les caves voisines de la chapelle qui, sans cela, seraient restées vides. L’association d’un site archéologique et d’une exposition de techniques anciennes peut paraître surprenante. Reconnaissons, cependant, que le troglodytisme qui leur est commun la rend viable, pour peu que le visiteur l’accepte comme le témoignage tardif de l’art des hommes à investir pour leur habitat les lieux les plus hétéroclites.

C’est pour les mêmes raisons que fut décidé le déménagement des collections concernant la batellerie dans un Musée aménagé à cet effet. Le manque de place, mais aussi l’inadaptation d’une salle juchée au 2e étage d’un immeuble ancien, éloigné de la rivière, à la présentation d’objets qui renvoient à tout moment à celle-ci justifiaient cette mesure. J’ajouterai que j’étais particulièrement favorable au fait de confier ces collections et le soin de les présenter et de les gérer à des personnes compétentes, qu’il s’agisse de l’architecte ou des conservateurs désignés à cet effet. L’échec momentané de ce projet ne doit pas nous faire dévier de cette ligne, car ses causes sont à chercher ailleurs.

À l’origine, le fonds ne comprenait que des objets appartenant à la Société, à l’exclusion du dépôt d’Azay-le-Rideau déjà mentionné. En 1947, la Mairie lui confia le Portrait de Rabelais d’Eugène Delacroix, qui fut restauré à Tours en 1956. La Chape de Saint-Mexme vint le rejoindre plus tard (1975). Parmi les fonds originaux, il faut citer aussi celui que se chargea de décrire et d’enrichir Gérard Cordier, à savoir le fonds préhistorique [très bientôt, il va faire l’objet d’un inventaire publié sous forme de volume, dans le cadre du centenaire].

La présentation des collections a toujours été le fait de Conservateurs bénévoles. On n’a pas gardé d’images du Musée primitif, aussi est-il difficile de se faire une idée exacte de l’aspect qu’il présentait au visiteur. En revanche, on possède un ensemble de diapositives intéressantes, dues à Gabriel Marteau (dont je vous présenterai un bref échantillon tout à l’heure), qui témoigne assez bien de la conception que défendirent des personnalités telles que James C. Richard et Noémie Marquis, qui se chargèrent de l’aménagement du 81, rue Voltaire.

Le recours à des expositions temporaires a été rare jusqu’à une date récente. Généralement, elles étaient inspirés par la nécessité de commémorer une date ou un personnage historiques : 4e centenaire de Rabelais (1953), commémoration de la mort de Charles VII (1961), fêtes johanniques de 1979. Mérite une mention spéciale celle qui fut préparée en 1974 sous la direction du Dr Bisson, à laquelle Chinon fut conviée de participer au titre de ville d’art et d’histoire (désignation avant la lettre), et qui obtint un prix régional et le droit d’être exposée à la Conciergerie à Paris. Le Dr Bisson y consacra un panneau à la dénonciation du projet d’aménagement urbain de l’architecte Vitry, qui défonçait une bonne partie de la vieille ville, afin de faciliter la circulation automobile. Les AVC s’étaient vigoureusement engagés dans le combat contre ce projet néfaste.

B. La Bibliothèque

La bibliothèque, aujourd’hui sans conteste un des fleurons de notre Société, eut un début d’existence pour le moins discret. Il est rare qu’elle fasse l’objet d’une mention spécifique dans les délibérations. Ce n’est qu’à partir de 1927 que les dons d’ouvrages sont mentionnés, à la suite des dons faits au Musée. Pour en savoir plus, il faut se reporter au cahier d’entrées, où les publications côtoient les objets muséographiques. Dans le Bulletin, on ne fait état que des dons d’archives importants : papiers Ruelle, 1er sous-préfet de Chinon (1927), documents réunis par le Dr Faucillon (1946), Papiers Piquet (1956), fonds Jeanne d’Arc offert par la R.-P. Scott (1975), bibliothèque de Székély (1978), à quoi j’ajouterai les Papiers Mauny et Papiers de Grandmaison (1992).

En 1967, A. Boucher déplore l’absence d’un bibliothécaire et le fait que les fonds ne soient pas classés méthodiquement. Veyret-Logérias s’en charge à partir de 1968 mais n’achèvera pas sa tâche. Il faudra attendre les années 1980 pour qu’une véritable réorganisation soit entreprise, d’abord par Luc Boisnard, aidé de M.-F. Leterreux, puis par Oscar Tapper, en 1988. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le poste de Bibliothécaire est régulièrement pourvu d’un titulaire et qu’un budget propre lui est attribué.

L’originalité du fonds réside d’abord dans la quasi exhaustivité des collections d’ouvrages imprimés traitant du Chinonais et, plus largement, de la Touraine. Elle est due aussi à la présence de deux collections non négligeables : le fonds Rabelais, qui contient une série complète de revues ainsi que des publications rares ; le fonds Jeanne d’Arc, riche d’ouvrages relativement anciens. Il faut ajouter une collection de journaux locaux, certes incomplète mais copieuse et un fonds nourri d’archives, qui contient quelques perles rares. Cette description montre que dans la constitution des collections le hasard a joué un certain rôle mais, qu’à un certain moment, le fonds était assez riche pour qu’on puisse envisager de former des séries homogènes et aussi complètes que possible. Ce fonds n’est pas dépourvu non plus d’un certain éclectisme dont témoignent les échanges de publication avec des sociétés sœurs, entrepris dès 1918, qui dénote chez les responsables de l’époque la volonté de ne pas se limiter à la Touraine stricto sensu.

C. Publications

On ne saurait clore cet exposé sans faire état même rapidement des publications réalisées par la Société. L’essentiel de ce chapitre sera occupé par le Bulletin.

Il constitue à la fois l’organe de liaison avec les adhérents et le support de diffusion des résultats des recherches menées localement. Sa publication est donc essentielle à un bon fonctionnement de la Société. Le Bulletin donne une image précise de la vie de la Société, non seulement par son contenu mais aussi par sa régularité. Pourtant la périodicité de sa publication est loin d’être exemplaire. Les responsables en sont conscients et s’en excusent régulièrement. On comprend leur gêne, car la remise du Bulletin est, en fin de compte, la seule contre-partie tangible du versement de la cotisation par les adhérents.

De tout temps, son impression correspond au principal poste budgétaire de dépenses, celui qui puise le plus largement dans le produit des cotisations qui constituent, de leur côté, l’essentiel des recettes. C’est ce qui explique que dans certains cas, rares heureusement, on dut recourir à l’expédient de publier une n° biennal, en même temps que l’on percevait deux cotisations (1945-1948).

La formule évolue au cours des temps, sous l’influence du contenu, qui s’enrichit de plus en plus, et de l’évolution des domaines d’intérêt. Mais l’on tend, au fur et à mesure que les années passent, à créer des rubriques qui se retrouvent d’une année à l’autre, de même que l’on veille à standardiser certaines d’entre elles (Vie de la Société, Chronique archéologique, etc.). Le caractère de publication scientifique s’accentue aussi, avec l’apparition d’une rubrique bibliographique (Notes de lecture), celle de numéros thématiques et la publication de textes rédigés par des collaborateurs occasionnels et extérieurs.

Pour compléter le chapitre des publications, il faudrait citer quelques ouvrages, dont le précieux Répertoire numérique des Archives Municipales de Chinon (Skorka, Thibault, 1983) et l’ouvrage de Stephan Meller, sur Chinon pendant la Révolution (1989), ainsi que la gravure sur Chinon au 18e siècle et la carte-postale tirée du Cortège royal de Sainte-Radegonde.

Conclusion

Lors de notre journée commémorative du 5 décembre dernier, je tentai de replacer cet événement dans un contexte plus général : « La fondation de notre société est redevable d’une tradition, celle des Sociétés savantes, qui fleurit à partir de la moitié du xixe siècle (à la suite des Académies du siècle précédent, mais en se démarquant aussi d’elles) et connut un grand essor à la fin de ce siècle. Mais elle est aussi une conséquence directe d’une loi fondamentale de notre République, dont nous avons récemment commémoré le centenaire, la loi de 1901 sur les Associations. Cette conjonction s’est traduite, dans le Chinonais, par la création d’une société chargée de défendre et de faire connaître ce qui ne s’appelait pas encore le patrimoine, mais qui correspondait assez exactement à l’objet que ce terme recouvre aujourd’hui : les monuments, les paysages, ainsi que les grands moments et les grands personnages de son histoire ».

À l’issue de ce survol d’un siècle d’activités, il est permis de dire que la sauvegarde du patrimoine est, de tous les domaines dans lesquels notre Société eut à intervenir, celui qui la mobilisa de la façon la plus constante et celui dans lequel elle se montra la plus efficace. Rien que pour cela, il est permis de dire que son action fut utile et même nécessaire. Je n’aurai garde, cependant, d’oublier le travail quotidien, parfois obscur, non moins précieux puisqu’il a contribué à familiariser les habitants d’une région éloignée de grands centre urbains à des pratiques aussi essentielles que la fréquentation d’un Musée ou la lecture de travaux historiques. À ce titre, le Bulletin joue un rôle primordial, car il est la seule publication régulière locale, en dehors de la presse quotidienne, et le seul lien écrit direct avec le passé.

Mais, en définitive, l’essentiel est la communauté d’individus qui se retrouvent, à l’image de l’assemblée que vous formez ce soir, autour d’activités régulières, pour s’enrichir mutuellement tout en entretenant la mémoire d’une histoire qui leur est chère, et qui leur apprend à mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent.

8 juin 2006

Allocution pour le concert du centenaire des Amis du Vieux Chinon

Membres d’honneur : sous-préfète ; Maire ; Conseiller Général

Allocution prononcée le 5 décembre 2004 avant le concert donné par l’Ensemble Jacques Moderne, qui inaugura les manifestations de l’année du centenaire des Amis du Vieux Chinon.

 

Mesdames, Messieurs

 

Je demande à mon ami Claude Viel, Président des Amis de Rabelais et de la Devinière et co-organisateur des manifestations de cette après-midi et aux adhérents de cette société ici présents, l’autorisation de m’adresser à vous tous au nom des Amis du Vieux Chinon, afin que je puisse évoquer en quelques mots l’événement mémorable que va représenter pour nous cette année 2005.

C’est en effet au mois de janvier 1905 que quelques personnalités chinonaises fondèrent Les Amis du Vieux Chinon, société locale de Chinon et de son Arrondissement. Quelques hommes de l’art, médecins et pharmaciens, quelques hommes de loi, des professeurs, des entrepreneurs ou des rentiers (on les désignait sous le vocable de « propriétaires ») accompagnèrent le Docteur Faucillon, premier Président, dans une entreprise qui s’avéra par la suite particulièrement fructueuse. Je ne retracerai pas ici l’histoire de ce siècle d’existence ; cela m’obligerait à vous entretenir trop longtemps (je consacrerai à ce sujet une conférence prochaine). Je me contenterai aujourd’hui de vous livrer quelques réflexions, afin de rendre un bref hommage à tous ceux qui ont œuvré à la réussite de cette entreprise.

La fondation de notre société est redevable d’une tradition, celle des Sociétés savantes, qui fleurit à partir de la moitié du xixe siècle (à la suite des Académies du siècle précédent, mais en se démarquant aussi d’elles) et connut un grand essor à la fin de ce siècle. Mais elle est aussi une conséquence directe d’une loi fondamentale de notre République, dont nous avons récemment commémoré le centenaire, la loi de 1901 sur les Associations. Cette conjonction s’est traduite, dans le Chinonais, par la création d’une société chargée de défendre et de faire connaître ce qui ne s’appelait pas encore le patrimoine, mais qui correspondait assez exactement à l’objet que ce terme recouvre aujourd’hui : les monuments, les paysages, ainsi que les grands moments et les grands personnages de son histoire.

J’y vois tout un symbole : les Chinonais découvraient le besoin d’approfondir leurs connaissances sur l’histoire locale en même temps qu’ils faisaient l’apprentissage de la vie associative, si malmenée par les régimes autoritaires qui ont dirigé notre pays pendant la majeure partie de ce siècle. Ces deux intérêts vont de pair ; ce sont deux façons concommittantes de participer à la vie de la collectivité, deux faces complémentaires d’un civisme exigeant.

Mieux connaître notre histoire, protéger et faire connaître les vestiges qu’elle a laissés dans notre environnement, cela paraît aller de soi aujourd’hui, puisqu’aussi bien, toutes les administrations publiques, de l’État à la commune, s’en préoccupent et se sont dotées de services spécialisés. À l’époque où furent créés les Amis du Vieux Chinon, elles étaient très négligées, et c’est tout à l’honneur de sociétés telles que la nôtre de s’en être chargé pendant des décennies. Nos fondateurs et ceux qui ont repris le flambeau à leur suite méritent qu’on leur rende hommage. C’est ce que fit la Nation elle-même lorsqu’en 1916, en pleine Grande Guerre, elle nous accorda le titre envié de société déclarée d’utilité publique.

Le changement des mentalités et des pratiques concernant le Patrimoine qui caractérise les cinquante dernières années risquait de rendre caduques les sociétés d’histoire locale ou du moins, risquait de les marginaliser durablement. Aux yeux des nouvelles structures mises en place, elles paraissaient obsolètes et, pour tout dire, devenaient encombrantes. De là vient cette image poussiéreuse qu’on leur applique souvent, et que rien ne justifie, sauf à considérer qu’une recherche exigeante n’a plus lieu d’être et qu’il faut sacrifier aux paillettes d’une culture télévisuelle.

Les Sociétés savantes ont fait de la résistance. Ont-elles fini de manger leur pain noir ? Certainement pas. Mais elles ont appris à s’adapter : en réduisant leurs activités à des domaines plus spécifiques ; en variant les manifestations, quitte à y insérer une dimension ludique ; surtout en imposant le respect par la rigueur de leur démarche.

C’est à cela que nous nous appliquons aujourd’hui, soucieux de nous montrer dignes d’un héritage fécond, sans épargner ni notre temps, ni notre énergie. Notre ambition est de préserver un outil qui a fait ses preuves et qui peut rendre encore d’éminents services, non seulement à nos adhérents, mais à la collectivité toute entière.

Le temps est révolu où les sociétés comme les Amis du Vieux Chinon couvraient à elles seules l’ensemble des activités liées au Patrimoine. Pour autant, aucun des domaines concernés ne leur est devenu étranger. Elles ont simplement appris à collaborer avec les nouveaux acteurs culturels locaux. De fait, c’est bien le cas de notre société. Nous entretenons des rapports suivis avec d’autres institutions qui travaillent dans des domaines proches des nôtres, tant il est vrai que nous pensons que le salut de la culture exige qu’elle soit diffusée le plus largement possible. La position des Amis du Vieux Chinon, à certaines époques, a été hégémonique ; désormais notre société aspire à fédérer les énergies, en s’appuyant sur une expérience et une infrastructure (bibliothèque, archives, documentation iconographique, fonds muséographiques) d’une exceptionnelle richesse.

En guise de conclusion, je saluerai les institutions et les personnes avec lesquelles nous collaborons régulièrement. C’est avec eux que nous avons voulu saluer cette entrée dans l’année de notre centenaire. Au nom des Amis du Vieux Chinon et en mon nom personnel, j’adresse à tous nos remerciements, et les invite à continuer à nous accorder leur confiance.

Et maintenant, saluons dans la liesse cette année mémorable en compagnie des poètes et musiciens de la Renaissance et des interprètes de l’Ensemble Jacques Moderne qui les servent si bien.