Catégorie : Thèmes tourangeaux

La ville de Richelieu

Mathieu Morgues

La ville de Richelieu

vue par un contemporain

 

Dans L’Ambassadeur chimérique, Mathieu de Morgues, confesseur de la Reine-mère, Marie de Médicis, et, à ce titre, ennemi acharné de Richelieu, évoque en deux endroits la présence du cardinal dans notre région. Les deux passages, pleins de malice, peuvent aussi être perçus comme un témoignage contemporain et, à ce titre, sont dignes d’intérêt pour un lecteur d’aujourd’hui.

L’auteur imagine qu’un ambassadeur est mandaté par le cardinal pour visiter toutes les parties du monde afin d’y faire connaître le ministre, qu’il ne désigne, par dérision, que l’Eminentissime par-dessus les mortels, allant jusqu’à le qualifier de Dieu visible, Ange tutelaire de l’uniuers, Esprit qui sait mouuoir les Cieux & Astres, l’heur du monde, la supreme inteligence, le Phenix de la terre, qui n’a point et n’aura iamais son pareil, &c., pour dénoncer sa fatuité, qui, à ses yeux de théologien, confinait à l’hérésie.

L’ambition démesurée du cardinal est ici ridiculisée par la faible portée de ses réalisations locales concrètes, qu’il s’agisse des proportions de la ville qu’il fait ériger de toutes pièces comme de sa collection d’ânes bardots du Poitou, ces derniers ayant, en outre le grave défaut d’être des monstres, puisque, en les croisant avec des bêtes d’une autre race (la jument), l’homme se substitue, de façon sacrilège, à la volonté de Dieu.

 

Premierement la grandeur de Peguin [Pékin], & la forme des bastimens. Si on prend garde que Monsieur l’Ambassadeur en fait tirer les plans[1], il dira que l’Eminentissime par-dessus les mortels faist bastir une ville qui s’appelle Richelieu, ou Plutotopie[2], & la veut rendre aussi grande que Peguin qui a d’enceinte trente deux lieues de France, qu’en celle de Richelieu on a desja fait vne ruë de trois cens pas de long[3] : que pour la rendre plus celebre, on y a establi des foires & marchez, on y fait passer les messagers & les postes de Poictiers, & qu’on y a transporté les asnes de Mirebalais, qui est vn grand pays que l’Eminentissime par-dessus les mortels a acheté[4] : il descrira la forme, la nature & sur tout les oreilles de ces animaux, & de leur engeance monstrueuse, lors qu’on les accouple avec des jumens (p. 13).

 

Il taschera aussi d’amener quelqu’vn de ces asnes sauuages qui sont aupres du fleuue Hyphasis[5], & qui ont vne corne au front, afin que l’Eminentissime par-dessus les mortels puisse faire son entrée dans les villes du Royaume d’Austrasie[6] sur cette beste extraordinaire, & apres la mettre en son haras de Mirebalais, pour en tirer la race (p. 15).

 

Référence bibliographique

L’Ambassadeur chimérique ov le cherchevr de duppes du Cardinal de Richeliev, reueuë & augmentée par l’Autheur. [Colophon] : Par Messire Mathieu de Morgues sieur de S. Germain. D. en Theologie, Predicateur de la Royne &c. s.l., s.d. (ca 1630).

 

 



[1] Si l’on surprend l’ambassadeur en train de tirer des plans, ce qui pourrait passer pour un acte d’espionnage.

[2] Plutopie. Construction verbale qui associe le préfice « plouto » (richesse) au terme « Utopie » privé de sa voyelle initiale. C’était une façon de dénoncer le coût exorbitant de cette création et son caractère utopique. La ville de Richelieu a été créée de toutes pièces et on ne peut la faire vivre que par des moyens artificiels, comme de détourner les voies de communication habituelles pour obliger la poste et les voyageurs à y faire étape entre Poitiers et Tours.

[3] Soit 450 mètres, comparés aux 32 kms d’une rue médiane correspondant à une circonférence de 128 kms (32 lieues).

[4] Richelieu a acquis la baronie de Mirebeau en 1628.

[5] Le fleuve Hyphase marque le terme des conquêtes d’Alexandre le Grand vers l’Orient. La légende de la licorne situe parfois cet animal fantastique en Inde.

[6] Royaume d’Austrasie: « C’est vn Empire qui est destiné à son Eminence, qui a honte d’estre appelé Cardinal Duc, & veut estre Roy, a quel prix que ce soit ». « [il] sera donné en mariage [en dot] a la plus accomplie Dame de la terre, qui est Niepce de l’Esprit qui fait mouuoir les Cieux, & s’appelle Madame de Combalet. » Ibid. p. 6-7.

À propos d’un projet de monument aux Juifs de Chinon

À propos du mémoire de Annegret Holtmann-Mares

À propos d’un projet de monument aux Juifs de Chinon

 

En 2003 ou 2004, j’appris incidemment que la municipalité de Chinon venait de recevoir la visite de l’administrateur d’une fondation dédiée à la restauration de la mémoire des communautés juives persécutées. Ayant appris qu’un massacre aurait été perpétré au début du xive siècle, sous le règne de Philippe le Bel et de ses descendants immédiats, ce personnage, que je n’eus pas l’occasion de rencontrer, proposa l’érection d’un monument pour commémorer l’événement. Ayant eu vent du projet, j’émis des réserves et souhaitai une étude sérieuse afin d’établir la réalité de faits dont on n’avait qu’une connaissance très approximative. Mon avis finit par être entendu, comme en témoigne la note ci-dessous publiée sur le site de la Nouvelle Gallia Judaica :

La Conseillère Municipale [l’Adjointe à la Culture] Marie-Michèle Esnard de la Ville de Chinon (Indre et Loire), s’était adressée dès 2004 à notre Équipe dans le but de faire réaliser une étude documentée et scientifique sur les Juifs de Chinon et ceci afin d’inscrire dans l’histoire patrimoniale locale la relation d’un épisode dramatique qui affecta les juifs chinonais en 1321.

Pour ce faire, Annegret HOLTMANN-MARES, docteur de l’Université de Trèves (Allemagne) – Université avec laquelle nous avons des liens étroits de collaboration scientifique – a été désignée ; auteur d’une thèse sur Les Juifs du Comté de Bourgogne au Moyen Age publiée à Hanovre en 2003 (en allemand), actuellement enseignante à l’Université technique de Darmstadt, elle vient donc d’achever, grâce à notre recommandation, cette étude demandée par la Ville de Chinon, et l’a présentée au Séminaire de la NGJ le lundi 2 juin 2008, ouvrant notre cycle sur « Le patrimoine juif en France et en Europe ». Nous nous réservons naturellement la possibilité de publier cette excellente étude dans la Collection de la NGJ chez Cerf.

 

Le projet de monument connut un début d’exécution : ébauche de la sculpture et choix de l’emplacement de son lieu d’érection. Ayant obtenu communication du rapport d’Annegret Holtmann-Mares, je l’étudiai et adressai la lettre qui suit à la nouvelle Adjointe à la culture, madame Micheline Dubruel.

 

[à Micheline Dubruel, le 6 juin 2008]

Chère Micheline,

J’ai appris incidemment que Marie-Michèle Esnard avait fait un exposé devant la dernière commission de la Culture sur le projet de monument chargé de commémorer le prétendu massacre des Juifs de Chinon. J’en conclus que le projet n’est donc pas abandonné.

L’ancienne Adjointe, sans doute à la demande d’Yves Dauge, a cherché plusieurs fois à m’y associer, sans me donner les moyens d’en discuter le bien-fondé. J’ai refusé de me prêter à une opération, l’érection d’un monument, dont le principe était arrêté avant que soient entendues les conclusions des études nécessaires à la reconnaissance historique des faits concernés. Cela s’appelle « mettre la charrue avant les bœufs ». Finalement, on a bien voulu me soumettre le rapport de madame Holtmann-Mares. Je l’ai lu attentivement et en ai fait une note de lecture que j’ai adressée, en son temps, à M.-M. Esnard. Je voudrais être certain que tu as eu connaissance de cette note. Je te l’envoie donc.

Je ne te cache pas que je trouve le procédé choquant. Je l’admets d’autant moins que ce n’est pas la première fois que j’observe que notre ville se retrouve impliquée dans la commémoration d’événements dont on n’a pas établi l’exactitude documentaire : la première s’est traduite par cette plaque apposée dans le square Eugène Pépin pour commémorer le massacre des suspects de Saumur pendant la Terreur. Il fallait alors, semble-t-il, donner un gage aux contempteurs d’une Révolution fanatique et cruelle. Peu importe que les malheureux aient été exécutés très probablement près de l’actuel cimetière sans que les Chinonais y aient participé (sans avoir tenté de l’empêcher non plus, je l’admets volontiers), la découverte d’ossements dans le futur square suffisait à justifier une opération du plus pur esprit révisionniste tendant à associer la population chinonaise à un acte de barbarie. J’ai bien peur que, cette fois, on n’ait pas résisté aux sirènes d’un financement qui « enrichirait » notre ville d’un nouveau monument, même si cela revient à rappeler qu’elle ne fut absente d’aucun événement mémorable du royaume, fussent-ils les plus noirs. Pour les promoteurs, qui se complaisent à présenter l’histoire du peuple juif en pays chrétien exclusivement sous l’aspect de la persécution, ce dut être une aubaine que de trouver une oreille complaisante à leurs jérémiades. Ils auraient été pourtant bien inspirés de chanter leur antienne aux autorités de Blois, tant il est vrai que (sauf erreur de ma part) un massacre de Juifs est vraiment attesté dans cette ville et a fait beaucoup plus de victimes que celles que l’on suppose, – sur la foi d’un seul document ! -, à Chinon.

Voilà à quel sinistre marchandage se trouve acculé celui qui veut rétablir la vérité devant une manipulation de l’histoire : à encourir des reproches d’indifférence envers des populations qui ont subi des persécutions qu’il est hors de question de nier et à l’égard desquelles il éprouve une réelle commisération, outre l’intérêt que suscite en lui naturellement la richesse culturelle issue de ces communautés.

Je tiens à me démarquer de cette attitude et dénoncer une opération qui n’honore pas ses promoteurs. Je voudrais que tu saches sur quels arguments je m’appuie pour défendre ma position, de façon à te permettre de juger en connaissance de cause.

 

À propos du mémoire de Annegret Holtmann-Mares

sur la Communauté juive de Chinon au Moyen Âge

et le massacre des Juifs de Chinon en 1321

_______

Mes connaissances sur l’histoire des communautés juives sous tous ses aspects (politique, démographique, culturel, spirituel) étant limitées, je me contenterai, dans les considérations qui suivent, de donner un avis sur la méthode suivie par madame Holtmann-Mares et sur les conclusions auxquelles elle aboutit.

Aspect documentaire

L’auteur du mémoire est très au fait des publications concernant les communautés juives, ce qui laisse bien augurer de la recherche qu’elle a effectuée. Il fallait une véritable spécialiste : je crois que vous l’avez trouvée. J’ajoute qu’elle a, de toute évidence, effectué un travail scrupuleux et honnête. Je me félicite que l’on se soit ainsi donné les moyens de sortir des lieux communs et de mener une vraie recherche, fondée sur une riche documentation. Je me permettrai de dire, cependant, que la bibliographie proposée en fin de mémoire aurait gagné à être ordonnée autrement que par ordre alphabétique des noms d’auteurs, les sources et documents étant séparées des gloses et commentaires, qui n’ont pas la même valeur démonstrative. Il aurait été utile également de faire ressortir les publications qui se réfèrent spécifiquement à Chinon, et celles qui concernent des aspects plus généraux de l’histoire des Juifs de France, voire de la Chrétienté. On verrait ainsi que la bibliographie ‘chinonaise’ reste maigre (et ne contient aucune découverte nouvelle) et que certains titres cités n’ont qu’un rapport lointain avec le cas spécifique de Chinon, ce que montre, en particulier, la formule récurrente en notes « Voir par exemple », qui dit bien que l’on applique au cas étudié une réalité observée ailleurs.

Question de méthode

Ce que je viens d’écrire sur la bibliographie peut être appliqué à la démarche d’ensemble de madame Holtmann-Mares. Elle est très au fait de ce que l’on sait sur la situation des Juifs en France au Moyen Âge, et plus précisément aux xiiexive siècles mais, en ce qui concerne Chinon, elle est tributaire d’une documentation très lacunaire. Ce constat devrait l’inciter à ne pas prendre pour argent comptant ce qui n’est pas établi de façon documentaire : cf. la formule, qui laisse perplexe : « Aux dires d’une tradition locale… », p. 4 ; « Or, une tradition locale veut que… », p. 24. Du moins conviendrait-il de hiérarchiser les informations selon la nature des sources et les garanties de fiabilité qu’elles présentent.

Formulations discutables

Ce constat de carence de la documentation locale la conduit aussi à appliquer à la réalité de notre ville des observations réalisées ailleurs, au prix de certaines contorsions qui font du tort à sa démonstration. Je citerai ici celles qui me paraissent les plus significatives.

– La fin du premier § de la p. 4 « Ainsi, le quartier juif… » est pour le moins maladroite, car la description, qui prétend concerner la communauté juive de Chinon, peut aussi bien s’appliquer à la ville médiévale tout entière : elle se trouve, en effet, au bas du château, tout près du centre commercial de la ville (encore que j’aimerais que l’on m’explique ce qu’est un centre commercial dans une ville médiévale, alors que l’essentiel du commerce se fait dans des marchés qui sont dispersés dans des quartiers différents), près du pont et de l’unique voie qui la traverse. Je ne vois pas en quoi ce passage décrit spécifiquement le ghetto de Chinon. On ne saurait donner meilleur exemple de texte passe-partout.

– J’ai été frappé par les nombreuses formules qui expriment une généralisation, une déduction non justifiée mais dont la répétition tend, à la longue, à faire croire à une réalité indiscutable : « Il est donc possible », p. 4 ; « d’une façon hypothétique mais convaincante, p. 8 ; « On penserait donc plutôt », p. 21 ; « Si nous présumons », p. 22 ; « Dernier argument d’une confirmation indirecte », p. 23 ; « Pourtant ce comportement doit avoir… », p. 25 ; « Pourtant la source semble digne de foi », p. 29 ; « D’après notre avis », p. 30.

– Certaines formulations sont prudemment approximatives mais, comme les précédentes, elles finissent par asseoir une réalité pourtant non démontrée : « communauté florissante » ; « Il y a un nombre d’érudits », p. 6 ; « plusieurs noms d’érudits, p. 7.

– La phrase « Nous sommes assez mal renseignés sur les activités professionnelles des Juifs de Chinon en raison du manque de sources […]. Pourtant […] un document unique… », p. 11, laisse également perplexe.

– Certaines déductions sont franchement abusives : « Deux ans plus tard, au printemps de 1319, les Juifs de Touraine – également les Juifs de Chinon ? – », p. 14 ; « Le massacre des Juifs à Chinon, qui lui [Lucien Lazard] semblait être lié étroitement à ces événements, eut lieu « à cette époque », p. 19 ; « Chinon étant le siège d’une prévôté, il n’est pas surprenant que cette ville abritait [sic] une communauté juive d’une certaine importance », p. 12 ; selon la chronique, un Juif a été brûlé à Tours. « Voilà donc la preuve… », p. 17. Ces raccourcis sont choquants, car ils sollicitent les textes au-delà de l’acceptable.

Affirmations contradictoires

– « En conclusion, il faut retenir que Chinon ne faisait pas partie des centres des tossafistes les plus importants […]. Or ( ?), la présence de savants implique que la communauté dont ils faisaient partie […] », p. 10-11. La logique de l’enchaînement m’échappe. Il aurait été plus juste d’écrire que Chinon n’avait pas de centre de tossafistes mais qu’elle pouvait avoir une yeshivah, ce qui ne dispenserait pas de le démontrer…

– Je relève plusieurs fois une contradiction entre certaines affirmations péremptoires et la maigreur de la documentation, qui devrait inciter à plus de prudence : I.1. « La communauté de Chinon n’a laissé que peu de traces dans la documentation non juive […] quelques mentions […] un certain nombre d’informations […] » aboutit à une formulation pour le moins discutable : « cette communauté florissante » (l’adjectif est repris plus loin). Cette façon d’opérer se retrouve plusieurs fois.

J’en viendrai à quelques points qui touchent au fond du sujet.

– Acte du mois de novembre 1318, p. 5 et n. 21.

La traduction du document est, pour le moins, discutable. Il me semble que « au-dessus du cimetière » s’applique aux biens laissés par le défunt maître Guyamar et pas aux deux maisons ayant appartenu, à une date antérieure, à des Juifs. Je me trompe peut-être, mais cela demande au moins vérification. En outre, ce n’est pas parce que ces deux maisons ont appartenu à des Juifs qu’il faut supposer que le cimetière en question est celui de la communauté juive. C’est un point délicat, car il s’agit d’un des rares documents (peut-être le seul, hormis celui qui est cité p. 8, n. 52) qui témoigne de l’existence d’une communauté juive constituée.

– Noms de Juifs

Madame Holtmann-Mares fait grand cas de l’onomastique pour attester la présence de Juifs à Chinon. De fait, qu’un savant apparaisse dans un document sous un nom qui inclut celui de « Chinon » est un fait à ne pas négliger. Mais faut-il, pour autant, en déduire l’existence dans la ville d’une école talmudique ? Certainement pas. L’auteur commet un amalgame dangereux lorsqu’elle donne comme équivalent le lieu de résidence et le lieu d’origine (« plusieurs noms d’érudits juifs ayant le nom de Chinon comme lieu de résidence ou lieu d’origine », p. 7). C’est d’ailleurs probablement faux, sauf à considérer que le nom d’une institution prestigieuse (cf. Baudri de Bourgueil, né à Meung-sur-Loire puis abbé de Bourgueil) à laquelle un personnage a emprunté son nom est équivalent du ‘lieu de résidence’. Le nom que certains personnages (clercs, artistes, etc.) adjoignent au leur propre est généralement leur lieu d’origine (cela vaut aussi pour les Chrétiens et les Musulmans). On peut donc supposer que les érudits cités sont nés à Chinon, mais il est tout aussi possible qu’ils soient fils, petit-fils ou même au-delà d’un personnage né à Chinon. Ces possibilités incitent à la prudence ; de plus, elles rendraient plus plausible le fait que ces érudits ont exercé leur office hors de Touraine et même en des lieux éloignés[1]. Par ailleurs, déduire que le nom d’une ville inclus dans celui d’un érudit implique l’existence, dans cette ville, d’un cadre susceptible d’accueillir ses travaux est très discutable. Autant imaginer que Benoît de Sainte-Maure a écrit le Roman de Troie dans un scriptorium de sa ville natale, entouré d’érudits de sa qualité. On pourrait en dire autant de Guillaume de Lorris ou Jean de Meung, les deux auteurs du Roman de la Rose. Cette partie de l’exposé demande, pour le moins, à être nuancée.

– Reste le point essentiel, c’est-à-dire la source unique faisant état d’un massacre de Juifs à Chinon. « Comme mentionné plus haut, le massacre des Juifs à Chinon n’est relaté que dans une seule chronique, celle du Continuateur de la chronique de Guillaume de Nangis. Pourtant, ce document est digne de foi : son auteur était un moine de Saint-Denis écrivant la partie de la chronique s’étendant de 1317 à 1340. En général […]. » Il est surprenant de voir qualifier un auteur qui est resté anonyme et, de toute façon, c’est faire peu de cas de l’idéologie de ces copistes compilateurs, qui peut les pousser à manipuler les textes. Quoi que l’on pense de ce Continuateur, on ne peut négliger le fait que le texte qui établit le massacre de Juifs à Chinon en 1321 est unique, et qu’il n’a pas été repris (sauf erreur ou omission de ma part) dans d’autres versions de cette chronique. Ce caractère le rend éminemment suspect. Les présomptions sur lesquelles se fonde l’auteur pour affirmer que « les événements rapportés devraient être fiables » (malgré la restriction du conditionnel), n’emportent pas non plus la conviction du lecteur (cf. tout le passage de la p. 21 qui commence par « En général, les chroniques provenant du monastère de Saint-Denis »). Peut-être aurait-ce été le cas si l’auteur avait reproduit les textes des documents qu’elle cite en note (note 220[2]). Le commentaire ne lève pas ces doutes car il révèle, sans le dire explicitement, que le récit reprend des lieux communs de la littérature propre aux martyres, au point que la scène décrite aurait pu se passer en d’autres lieux, en d’autres temps et ne pas concerner forcément des Juifs. Le recours à d’autres textes (n. 221 et 223) pour avaliser cette interprétation joue aussi en sa défaveur. L’exégèse à laquelle se livre madame Holtmann-Mares tendrait, au contraire, à révéler dans ce court fragment toute sorte d’emprunts qui lui retire encore de son authenticité. Dans sa conclusion, l’auteur revient sur ce point essentiel et reconnaît honnêtement la fragilité du témoignage. Malheureusement, elle l’accompagne d’un commentaire qui cherche à surmonter la difficulté, au prix de contorsions difficilement acceptables : « Le fait que le massacre de Chinon en 1321 soit relaté dans une seule chronique pose la question de sa vraisemblance. Pourtant, la source semble digne de foi. Le massacre en soi fait partie d’un nombre élevé de massacres du même genre, survenus dans toute la France au cours du printemps et de l’été 1321 ». J’ai tenu à reproduire littéralement ce passage afin que l’on puisse mesurer l’inanité des arguments (une profession de foi ?) avancés pour pallier la carence signalée dans la première phrase, et à laquelle je souscris pleinement.

 

Conclusion

J’arrête là mon commentaire, car il m’est pénible de critiquer une collègue dont le seul défaut a été de vouloir jouer un jeu qui s’est trouvé biaisé dès le départ. Lorsqu’on demande à un historien d’effectuer une recherche dans le but de justifier un projet établi au préalable[3], on le place dans les pires conditions qui soient, puisqu’on l’empêche de s’interroger sur le bien-fondé de cette opération. On aurait dû lui demander un état de la question, sans préjugés ni parti-pris, sur l’existence d’une communauté juive à Chinon et sur l’éventualité d’un massacre en 1321. Nul doute qu’étant donné ses connaissances, madame Holtmann-Mares se serait parfaitement acquittée de sa tâche, et je crois sincèrement qu’elle aurait abouti à des conclusions différentes mais plus solides. Mais qui oserait expliquer à des commanditaires inspirés par les meilleures intentions du monde (rendre hommage à une communauté persécutée) qu’on n’a aucune assurance que ce que disent et écrivent depuis des générations des érudits locaux est historiquement fondé ? Il suffit de voir combien il est difficile à un historien local de faire entendre une voix discordante pour considérer l’impossibilité de le faire pour un historien extérieur. Dans cette affaire, j’observe une fâcheuse inversion, en ce sens que la recherche perd sa raison d’être, qui est de se poser en préalable à toute initiative commémorative ou autre. Je ne peux m’empêcher de constater, en outre, que cet état de fait illustre assez bien les rapports conflictuels que vivent depuis quelque temps les historiens et les gouvernants de notre pays.

En conséquence, je suis prêt à appuyer la publication dans le Bulletin des Amis du Vieux Chinon d’une étude de madame Holtmann-Mares réalisée selon le point de vue que je viens d’indiquer. En revanche, je ne souhaite pas être associé, à quelque titre que ce soit, au projet tel qu’il est conçu aujourd’hui.

 

Dans sa réponse, M. Dubruel ne contredit pas mon analyse, mais justifie son soutien du projet par la qualité de l’œuvre proposée par l’artiste (« une dissémination d’étoiles enclavées dans un croissant de lune, médailles de 10 et 5 cm de diamètre de couleur bronze doré ») qui donnerait une identité à la place Victoire (lieu supposé de l’emplacement de la synagogue, au débouché du pont sur la Vienne), vouée pour l’heure à être un parking. Je lui adressai la réponse suivante :

 

Chère Micheline,

Tu n’as pas à t’excuser, encore moins à me rendre des comptes. Ce n’est pas une affaire de cet ordre qui pourra porter quelque atteinte que ce soit à notre amitié et, pour être franc, à ta place je serais tout aussi embarrassé que toi.

Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est bien la première fois (hormis quelques mots de Myriam Rémy, il y a quelques jours) que j’entends parler avec quelque détail de ce monument et du projet artistique dans lequel, semble-t-il, il s’intègre. C’eût été trop demander, sans doute : que les historiens “historient” dans leur coin à notre profit et nos vaches seront bien gardées.

À ta lecture, il me vient une idée, qui pourra éventuellement te servir. Si j’en juge par la description que tu en fais, le monument ne fait pas référence explicite au massacre. Dès lors, pourquoi ne pas se contenter de célébrer la présence d’une communauté juive dans notre bonne ville de Chinon (comme dans toutes les villes royales, au demeurant), dans le quartier où se trouvait selon certaine vraisemblance la synagogue ? Plaçons ce monument sous le signe de la vie, nos villes s’étant nourries de la coexistence entre groupes humains différents, et non sous celui de la mort, dans lequel Chinon s’est probablement moins illustrée que la plupart de ses voisines. On évitera un débat pénible autour du prétendu massacre et on redonnera à ce groupe humain la place qui lui revient dans notre histoire, tout en dénonçant le traitement discriminatoire dont il fut l’objet au début du xive siècle et qui entraîna sa dispersion et son exil.

Qu’en penses-tu ? Ne serait-ce pas un moyen efficace (et élégant, dirai-je) de concilier deux démarches qui, au départ, étaient irréductiblement opposées ?

 



[1] Je ne lis pas l’hébreu et serais donc mal venu de m’engager sur le terrain délicat du déchiffrage des textes, mais je souhaiterais être assuré que les normes graphiques de cette langue ne laissent aucun doute sur la leçon « Chinon » contenue dans les noms des personnages en question. Est-on bien sûr qu’on ne peut lire autre chose ? À reprendre sans les vérifier des informations déjà anciennes, on a un peu tendance à perdre de vue les textes authentiques. Je parle d’expérience.

Enfin, un dernier doute m’assaille. S’agissant d’un personnage s’appelant « de Chinon » et vivant en Bourgogne, ne pourrait-il s’agir de quelqu’un originaire de Château-Chinon, qui est beaucoup plus proche de ce territoire qu’une ville de Touraine ?

[2] Autant qu’il m’en souvienne, cette information est fournie par l’éditeur de la Chronique.

[3] Le sous-titre du mémoire est très explicite et involontairement comique : on présente l’étude historique comme un préalable, mais on reconnaît que la nature de la réalisation finale est déjà défini : une œuvre artistique commanditée par la Fondation de France. Que l’on m’explique en quoi consiste, dans ces conditions, le ‘préalable’ de la recherche.

Les Amis du Vieux Chinon ont cent ans

Les Amis du Vieux Chinon ont cent ans

Les Amis du Vieux Chinon ont cent ans

 

À l’occasion des 60 ans de la Société, James Richard relate les circonstances de la fondation de notre Société, à laquelle il avait été étroitement associé par son père, témoin et acteur de l’événement. Le récit est sans doute quelque peu romancé, mais il nous transmet l’essentiel des faits et des propos.

La première étincelle jaillit un soir de l’hiver 1904, à l’issue d’une réunion de caractère corporatif. Dans une des salles de notre Hôtel de Ville, autour de plusieurs Conseillers Municipaux, deux architectes, une majorité d’entrepreneurs et plusieurs fonctionnaires de la Ville étaient rassemblés. Avant de se séparer, les assistants échangeaient les propos les plus divers, dont l’un, cependant, émergeant de cette confusion, rallia l’attention de l’assemblée. Son auteur déplorait l’inconscience et, souvent, l’indifférence avec laquelle étaient considérées tant de vieilles choses, témoins du passé local et, plus tristement encore, tant de ces édifices, exemples émouvants de l’architecture d’autrefois.

L’idée naquit d’organiser une exposition « de ces reliques » dans le but « d’éveiller, parmi les Chinonais, l’amour de notre grandeur passée ».

Tout est dit, en effet, dans cette évocation. Ces personnes, que leur goût ou leurs fonctions poussaient à se mêler de près à l’administration de la cité, partageaient un intérêt commun pour une histoire dont ils percevaient la richesse. Ils voyaient bien que cet avis n’était guère partagé par leurs concitoyens mais ils entretenaient l’espoir qu’il ne faudrait pas grand-chose pour l’éveiller chez eux. Ce projet encore vague prit corps dans une exposition et non pas, observons-le bien, dans la création d’une association spécifique, même si la fondation de celle-ci s’imposa bien vite aux yeux de tous.

Cet événement fortuit est le point de départ d’une aventure qui se poursuit depuis un siècle et qui est loin, du moins est-ce notre secret espoir, d’avoir atteint son terme.

Retracer en moins d’une heure l’histoire de notre Société pendant ce siècle d’existence est une tâche à vrai dire impossible, tant il est vrai que les péripéties furent nombreuses et que des circonstances, politiques et autres, très diverses pesèrent sur son cours. Il faudrait s’appuyer sur des informations indiscutables et exhaustives, multiplier les points de vue et jeter un regard critique sur tous les événements, même les plus apparemment anodins.

Je n’ai pour moi que d’avoir relu attentivement les comptes rendus de délibération du Bureau, du Conseil d’Administration et de l’Assemblée Générale et de pouvoir m’appuyer sur ma propre expérience ainsi que sur les témoignages que j’ai pu recueillir au long des 25 années pendant lesquelles j’ai partagé les activités de notre Société.

Dans une première partie, que je veillerai à faire la plus courte possible pour ne pas vous lasser, je dresserai un tableau statistique de la vie des AVC. Je prolongerai cette partie par une sorte d’éphéméride, dans lequel j’énumérerai des événements insolites, par eux-mêmes ou par leur répétition, en espérant vous égayer quelque peu. Enfin, dans le but de rendre hommage à Gabriel Marteau, je projetterai quelques diapositives de la précieuse collection dont son fils, -qu’il en soit remercié ici publiquement-, a bien voulu faire récemment don à la Société. [Remerciements à Micheline Dubruel, qui a accepté de dépouiller les anciennes archives à mon intention, et à Joyce Canel, dont le goût esthétique et pédagogique si sûr, m’a orienté dans le choix des diapositives].

I. Les hommes et l’administration

A. Administrateurs

En 100 ans, la Société n’a connu que 8 Présidents et seulement 3 depuis 1935, date de l’élection d’André Boucher. Celui-ci a occupé les fonctions pendant 41 ans ; son successeur, Raymond Mauny, pendant 10 ans ; l’actuel Président est en poste depuis 18 ans. Ces cas de longévité sont très exceptionnels au début de l’histoire de la Société. Entre 1905 et 1935, se sont succédé : le Dr E. Faucillon (1905-1908), James Picot, architecte municipal (1908-1913), Eugène Meschin, avocat (1913-1918), J. Fougerat, Conservateur des Hypothèques (1918-1921), Justin Richard, entrepreneur (1921-1935). Les raisons de leur démission sont multiples, et généralement liées à l’âge ou à l’état de santé. Eugène Meschin constitue, quant à lui, un cas insolite et qui reste encore pour moi passablement obscur. À peine élu, il est mobilisé et le restera pendant toute la durée de la Guerre, mais garde formellement le titre. À la fin de celle-ci, il est remplacé, sans explications, sans que l’on sache ce qu’il est advenu de lui.

Les Présidents s’appuient sur des équipes (Bureau et Conseil) qui se renouvellent constamment, soit que certains de leurs membres sont appelés à couvrir les postes de responsabilité devenus vacants, soit parce qu’ils se retirent. Parmi les membres du Bureau, on trouve des cas de longévité remarquables, comme celui du Trésorier Bouchet-Roullet, du Vice-Président René Baugin, de Justin Richard qui fut longtemps Vice-Président avant depuis devenir Président, de son fils, James C. Richard, qui occupa des postes de responsabilité de son retour au pays en 1944 jusqu’à sa mort en 1972, enfin Raymond Mauny, dont le nom apparaît pour la première fois en 1947 et qui se retirera en 1987.

B. Adhérents

Une Association ne se réduit pas à ses administrateurs, pour important que soit leur rôle, mais doit pouvoir compter aussi sur des adhérents. Ils sont près de 200, lors de la création (145 titulaires et une cinquantaine d’associés). Leur chiffre montera progressivement jusqu’à 300, chiffre qui constitue depuis une moyenne, même si, ces dernières années, nous avons approché les 400. Le chiffre est conséquent, compte tenu de la population relativement faible de la population concernée (un arrondissement dépourvu de grande agglomération et essentiellement rural). La composition de l’Assemblée a évolué, mais nous connaissons mieux celle des premières années que la composition actuelle, parce que nous avons négligé de demander à chacun d’indiquer leur profession. Ce qui frappe, sous réserve de vérification, c’est le grand nombre de notables cotisants au début du xxe siècle, élus nationaux et locaux, hommes de lettres parfois prestigieux (6 h). Un travail reste à faire pour analyser la sociologie de notre Société et se donner les moyens de mieux connaître la situation actuelle.

Une autre constante est le faible intérêt de la population locale, avec lequel contraste l’attachement à la Société des personnes qui ont dû s’expatrier. Les propos sévères tenus par A. Boucher en 1952 sont en partie encore d’actualité (6 m).

C. Statuts et fonctionnement

Les premiers statuts sont conformes aux statuts types imposés par la loi de 1901. Ils seront modifiés en 1915 pour s’adapter aux exigences de la déclaration d’utilité publique, c’est-à-dire concrètement, comme cela est clairement dit à l’époque, dans un but intéressé, permettre à la Société de recevoir des dons et des legs. Entre 1920, date à laquelle une légère modification sera apportée (cf. éphéméride) et 1986, ils ne subiront pas d’autre modification que la création en 1980 de membres associés. En 1987, un toilettage complet est réalisé afin de les adapter à une réalité qui a beaucoup changé en 80 ans.

En matière de fonctionnement, la Société se distingue des sociétés savantes traditionnelles en ce qu’elle n’instaure pas de séances de travail, malgré une timide tentative en 1909. La raison en est sans doute que les AVC ont accordé, dès leur fondation, une certaine priorité au Musée, ce qui leur a donné un statut particulier, que traduit bien l’appellation Société d’histoire locale. Pour satisfaire à la curiosité intellectuelle de ses membres, on a eu recours à plusieurs formules différentes, comme des communications en séance de Bureau ou lors des AG, mais qui furent sans lendemain. Après la Grande Guerre, la Société s’installe dans une espèce de somnolence d’où elle ne sortira vraiment que lorsque R. Mauny, ayant quitté son poste de Dakar, devint Professeur à la Sorbonne et Secrétaire Général (1964). La présence de cet homme actif, rompu dès son adolescence (avec son ami Jean Zocchetti) au travail sur le terrain chinonais, et formé à des activités telles que la recherche ou les techniques de l’exposition scientifique, donna un nouvel essor dont témoignent les comptes rendus de plus en plus nourris publiés dans le Bulletin.

À la décharge des responsables, il faut dire que la Société manque cruellement d’espace, tant pour son Musée que pour ses archives ou pour la communication avec ses adhérents. Cet état de fait connaîtra une nette amélioration lors de l’emménagement dans cette Maison des États-Généraux, même si elle présente de graves inconvénients dans la distribution de ses pièces.

D. Finances

Chacun sait que l’état des finances est un exact reflet de l’activité d’une Société et de ses rapports avec le contexte politique. Les AVC connaissent une première période relativement florissante ; elle s’offre même le luxe de dispenser ses adhérents de cotisation pendant la première année de la Guerre. Après 1919, la situation change sous le coup de l’inflation, à laquelle des personnes habituées à la stabilité du franc or n’étaient guère habitués. Ce fut un véritable traumatisme. On doit à un remarquable administrateur, le Trésorier Bouché-Roullet, dont les rapports sont des modèles de rigueur et de clarté, d’avoir maintenu la Société à flot. La fin de la Deuxième Guerre Mondiale se traduisit par un situation encore pire, car l’inflation atteint des sommets inconnus jusque là. La Société traîna ce boulet pendant 30 ans, jusqu’à ce qu’elle puisse bénéficier du providentiel héritage laissé par M. Székély, qui mérite bien d’avoir donné son nom à la salle du 2e étage du Musée. Depuis, la situation s’est stabilisée et même améliorée depuis peu, grâce à une gestion rigoureuse couplée à une adroite politique de convention et de recherches de subventions.

On ne saurait trop insister sur cet aspect, car disposer d’une certaine marge financière offre la possibilité d’une autonomie rassurante à l’égard des institutions et administrations et autorise la prise d’initiatives. Il n’y a rien de plus triste que de devoir gérer la pénurie et rien de plus satisfaisant que de pouvoir s’exprimer sans avoir à brider son enthousiasme. Quelles perspectives offrons-nous à des jeunes talents lorsque nous les invitons à partager les affres d’une gestion étroite ? Comment s’étonner dès lors qu’ils soient peu attirés par nos Sociétés ? En revanche, gageons qu’ils nous rejoindront si nous leur offrons la possibilité d’entreprendre et d’orienter dans le sens qui leur plaît les activités qui sont de leur compétence.

II. L’environnement culturel et les activités

A. Relations avec d’autres sociétés

Les AVC naissent à une époque de vide relatif en matière de sociétés culturelles. La SAT n’a pas de rivale en Touraine. Jusqu’à un certain point, la création des AVC vise à briser ce monopole, comme l’exprime franchement le premier Président lors de la séance de fondation. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter aussi la précocité et la constance des rapports que la nouvelle société chinonaise entretient avec ses voisines de Loudun et Saumur, d’importance sensiblement équivalente. Dès 1912, elles organisent en commun des excursions sur le territoire de l’une ou de l’autre, celle de Saumur ayant, en particulier, la responsabilité de susciter un intérêt historique et archéologique pour l’abbaye de Fontevraud. Les responsables des AVC accueillent volontiers, pour leur faire visiter Chinon et ses environs, des associations de toute nature et nationalité. Mais ce qui nous intéresse avant tout, ce sont les rapports qu’elle a entretenus avec les sociétés culturelles locales.

La première à se manifester, furent les Amis de Rabelais et de la Devinière (1949). Cette création éveille de la sympathie chez les responsables des AVC (7 m), sans doute parce qu’elle garantit la préservation de la Devinière, pour laquelle ils se battent depuis de nombreuses années. À l’égard du projet qui aboutira à la création de Connaissance de Jeanne d’Arc, l’enthousiasme est mitigé (7 mb). Il serait plus juste de parler de réticence. C’est que l’initiative de M. Dontanwille (1958) interfère directement avec un vieux projet des AVC, qui consistait à créer un musée consacré à Jeanne d’Arc, projet qui fut repoussé faute de lieu pour l’accueillir. Par ailleurs, notre Société n’avait pas ménagé ses efforts pour commémorer la Pucelle et se voyait, en quelque sorte, privée d’un domaine d’activités qu’elle estimait devoir lui revenir. Pourtant, le Bureau se montra très coopératif dès l’installation, en 1960, des collections dans la Tour de l’Horloge, au point que la presque totalité des responsables de la nouvelle société, dans les années 60 et 70, sont les mêmes que ceux qui, à l’époque, animent les AVC (8, h). Il en ira de même à partir de 1987, car je me refusai à succéder à R. Mauny, à la suite d’une séance éprouvante, qui ne cesse de me hanter encore aujourd’hui. Pendant quelques années, Albert Héron anima C.A.I.N.O., qui se consacra à la restauration d’édifices ou au déblaiement de dolmens et autres monuments ruraux. Cette association eut son utilité et n’entrait pas en concurrence directe avec les AVC, car elle répondait au talent réel de son promoteur pour animer des équipes sur le terrain et mobiliser des aides efficaces.

B. Activités

Je citerai pour mémoire l’activité touristique que les statuts primitifs présentent comme un des objectifs de la nouvelle Société. Elle cessa en 1938, quelques années après la création d’un syndicat d’initiatives (1931), qui rendit inutile que les AVC se préoccupent de cette question. Cette activité occupa, cependant, les responsables pendant des années, donnant lieu à la publication d’un guide illustré, qui connut trois éditions, et les obligeant à accueillir les visiteurs, c’est-à-dire à les guider dans les visites mais aussi à leur trouver un hébergement. Voici un extrait du compte rendu de l’AG de 1924 qui donne une bonne idée du programme proposé :

Accompagnés par un guide choisi par le Bureau [M. Marquis], les touristes sont conduits depuis les hôtels où ils sont descendus jusqu’au lieu de départ des auto-cars. En donnant toutes les explications utiles, le guide fait remarquer les vieilles demeures de la rue Voltaire et termine par une visite à notre musée, dont les objets les plus intéressants sont signalés aux visiteurs.

Faute de séances de travail, on aurait pu s’attendre à ce que des conférences régulières en tiennent lieu. Ce choix que nous avons personnellement fait, il y a une bonne dizaine d’années, ne fut pas celui de nos prédécesseurs. Certes, ils pratiquèrent cet exercice avec une certaine assiduité, depuis 1908, date où fut prononcée la première d’entre elles (éphéméride), mais le plus souvent dans le cadre plus restreint de l’AG ou du Bureau. Au début de son mandat, André Boucher tenta de restaurer cette pratique mais il renonça après une expérience qui connut pourtant un beau succès (Norbert Casteret, 1947, éphéméride).

Les excursions furent une pratique plus constante. Elles connurent un rythme annuel de 1908 à 1914 ; se firent très rares jusqu’au début des années soixante ; puis redevinrent annuelles à compter de 1965. Depuis cette date, la Société n’a jamais manqué le rendez-vous qui, depuis 1969, est invariablement placé au début du mois de septembre. Depuis quelques années, l’excursion annuelle est doublé de sorties d’une ½ journée pendant la belle saison, pour permettre aux adhérents « expatriés » de participer aux activités de la Société.

Parmi les autres activités notables, je citerai le feu de la Saint-Jean dont R. Mauny rétablit le rite devant l’ermitage de Jean de Chinon en 1981. Avant de danser autour du foyer, Dorothée Kleinmann avait procédé à la cuisson du pain dans le four du curé Breton, puis elle allait puiser, à minuit tapantes, en compagnie de Jean-Baptiste Zocchetti (ou de quelqu’un d’autre ?), un peu de cette eau qui est censée guérir les maux d’yeux, et que je vous conjure de ne pas appliquer sur les vôtres, pour le salut de votre santé et la préservation de ma tranquillité.

III. Défense du patrimoine

Parmi les 4 objectifs fixés par les statuts de 1905 figure en 3e lieu celui de « veiller à la conservation des sites pittoresques, des antiques demeures et autres monuments présentant quelque intérêt architectural, historique, archéologique ». Cette mission fondamentale, on suppose qu’elle était prioritaire pour les personnalités réunies à la Mairie cette soirée de l’hiver 1904 dont nous a parlé James C. Richard. De fait, elle occupe la première place dans les préoccupations des futurs administrateurs de la Société.

A. Conservation des vestiges anciens

Conscients que la richesse principale du Chinonais consiste dans les vestiges de son passé, les AVC veillent très précisément à éviter des destructions inutiles. C’est ainsi qu’elle proteste énergiquement contre la destruction de la Tour de la Parerie, dernier vestige de la muraille du xve siècle, en dépit des assurances formelles pour sa conservation, données par les autorités municipales. Le patrimoine johannique est de ceux que l’on veille le plus à ménager, même si parfois cela s’apparente à du folklore, comme pour la margelle du puits, dont il est question dès 1913 et encore en 1937. Ce désir de préserver l’archaïsme de la ville va jusqu’à vouloir redonner à certaines rues leur nom ancien, idée à laquelle R. Mauny se montre très attaché. Certaines démarches aboutissent à des résultats positifs : ainsi parvient-on à éviter que les Allemands n’envoient la statue de Rabelais à la fonderie, ce qui n’est pas un mince exploit ; ou que le pont reconstruit ne soit enlaidi par une arche de 30 m d’ouverture.

En revanche, on n’émet pas la moindre réserve contre le projet de destruction du théâtre, ni contre la démolition de l’église Saint-Jacques. Il est vrai qu’il ne restait que de rares vestiges de l’édifice primitif et que l’on veilla à sauver les plus significatifs.

Mais il ne suffit pas de conserver ce qui existe, encore faut-il que ces restes d’un glorieux passé ne soient pas défigurés par des restaurations intempestives. La philosophie prônée s’inspire du principe exprimé par G. Richault dans son Histoire de Chinon, à savoir conserver « intact le décor du passé » ou, selon une formule frappante consacrée à la préservation du château, « ne pas porter atteinte à l’austère et définitive beauté dont la nature se plaît à parer les ruines ! ». (II, 465 ; G. Richault, p. 462). Ces principes trouvent une expression privilégiée dans la volonté de restaurer « sans diminuer le cachet architectural des vieilles façades ». On dénonce donc les crépis malencontreux qui défigurent les maisons anciennes et on obtient que la Ville vote un budget propre à favoriser cette pratique de la part des propriétaires.

B. Rôle institutionnel des AVC dans la préservation du patrimoine

La Société ne se contente pas de s’attribuer à elle-même un rôle actif dans ce domaine. Elle est reconnue par l’Administration comme un acteur essentiel de la conservation du patrimoine. Dès 1920, le Ministère des Beaux-Arts lui demande de dresser une liste « des monuments et objets intéressant les arts ou l’histoire, situés dans l’arrondissement de Chinon, encore non classés et dont l’intérêt archéologique pourrait déterminer ce classement ». Dans ce même ordre d’idées, en 1966, elle est associée à la SAT pour dresser un Inventaire Général des Monuments et Richesses artistiques, sous la responsabilité du Conseil Général (prémices du poste de G. Du Chazaud ?).

Forte de cette reconnaissance institutionnelle, la Société prend en 1963 une initiative qui s’avérera riche de conséquences par la suite.

Elle « [attire] l’attention du Ministre des Affaires Culturelles sur l’intérêt historique présenté par les vieux quartiers de notre ville et lui demande de faire bénéficier Chinon de la loi du 4 août 1962 sur la protection du patrimoine artistique et esthétique de la France. Notre démarche n’a pas été vaine puisque le Maire de Chinon a été saisi de propositions de la Société Auxiliaire de Restauration du Patrimoine Immobilier d’Intérêt National (S.A.R.PI.). Des pourparlers sont en cours, une demande de création de secteur sauvegardé est dès maintenant adressée au Ministère et nous souhaitons qu’elle aboutisse bientôt à un heureux résultat. Quant à nous, nous ferons tous nos efforts pour que se réalise un projet auquel est lié l’avenir touristique de notre cité ».

De fait, peu de temps après, on apprend que « la Commission Nationale des Secteurs sauvegardés vient de retenir Chinon parmi les villes dont la partie historique mérite la mise au point d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur ». Cette initiative au plus haut niveau, qui doit beaucoup à l’entregent de R. Mauny, permit à Chinon d’être la deuxième ville de France, après Sarlat, à bénéficier des effets de la loi Malraux. Ce fut le point de départ d’une politique de sauvegarde qui n’a pas cessé depuis. Il est bon que vous sachiez que les AVC ont eu une part primordiale dans son déclenchement.

C. Les AVC et la protection des monuments

Il serait fastidieux de décrire par le menu toutes les initiatives, généralement sous forme de vœux votés par l’AG, que les AVC prirent pour défendre les monuments les plus remarquables du secteur concerné. Je ne citerai ici que les principaux en tentant de synthétiser le contenu de la demande formulée.

À tout seigneur tout honneur : le château fut un souci constant pour notre Société, surtout, bien évidemment, avant que le Conseil Général ne consacre à sa gestion des moyens conséquents. Jusqu’à la Deuxième Guerre, la philosophie était de protéger les ruines et de les entretenir. À partir de 1947, et à l’initiative de R. Mauny qui ne cessera de défendre cette thèse par la suite, on préconise la reconstitution des Logis royaux. En 1964, la demande devient plus précise puisque l’on préconise leur couverture. En 1978, on consacre 60% de l’héritage de Székély à la pose de dalles de ciment. Le but poursuivi, outre la reconstruction de cette partie de la forteresse est d’aménager des locaux pour regrouper les Musées de Chinon en un seul lieu, fréquenté par un nombre de touristes bien plus important que celui qui visite la ville.

Pour des raisons analogues, dès 1956, la Société poussera la Municipalité à acquérir les maisons du Grand Carroi, afin d’y installer son Musée, ce qu’elle obtiendra en 1963, mais seulement pour le 44, la Ville ayant dû se défaire de la Maison Rouge pour des raisons financières. De même elle fit acheter la chapelle Sainte-Radegonde en 1957, et se chargea de la remettre en état, pour une ouverture officielle en 1960. Dès 1966, elle formula le vœu de voir la Collégiale Saint-Mexme, -dans un premier temps le narthex-, libérée de l’école qui l’occupait.

Par ailleurs, elle contribua, en 1920, au classement de l’église de Parilly, à celui de la Devinière, en 1929, et participa au montage qui permit de sauver l’église de Rigny.

III. Musées, Bibliothèque et publication

A. Les Musées : locaux et objet

J’ai déjà signalé que la création d’une collection d’objets et de documents se rapportant à l’histoire de Chinon constitua le thème principal de la réunion de 1904. Cette initiative trouva immédiatement un écho favorable auprès de la population, de sorte qu’en peu de mois, il fut possible de mettre sur pied une Exposition d’Art Rétrospectif et d’Histoire Locale, inaugurée lors du Comice Agricole de 1905 (19 et 20 août). À partir de là, les faits s’enchaînent : recherche d’un local approprié (la Maison à la gargouille de la rue Jean-Jacques Rousseau), installation d’un Musée, animations autour du fonds muséographique, nouvelles acquisitions, etc. Malheureusement, la Guerre vint couper cet élan, en empêchant l’acquisition de la Maison du Gouvernement, qui aurait offert un cadre excellent à ce Musée et aux bureaux de la Société. Il fallut attendre 1922 pour disposer de locaux plus spacieux, le 81, rue Voltaire, gracieusement mis à la disposition par la Ville.

Ils s’avérèrent bien vite trop petits, malgré une extension au premier étage en 1936. Ce manque de place, constamment dénoncé par les responsables, empêcha la création d’une salle d’exposition spécialement consacrée à Jeanne d’Arc, qui aurait pu servir d’amorce à une section fournie, entièrement dévolue à la Pucelle. Le déménagement en 1973 au Grand Carroi apporta un bol d’air, bien qu’à l’usage, le bâtiment apparut plutôt mal adapté à l’usage d’un Musée.

Les collections se sont constituées peu à peu, au hasard des dons et legs, ce qui, certes, permettait de couvrir un maximum de domaines, mais n’autorisait pas une véritable politique muséale, condamnant le Musée à être une espèce de « Grenier historique » du Chinonais. Cette variété ne manque pas de charme en soi, mais exige un réel talent pour que l’exposition ne vire pas au fourre-tout. Heureusement, pour compenser cette inévitable dispersion, les AVC purent réunir certains ensembles homogènes : le dépôt des Monuments Historiques, juste avant la Grande Guerre, constitué principalement de statues (dépôt dit d’Azay-le-Rideau, parce que les objets étaient conservés dans ce château) ; certains legs et dons familiaux. Mais c’est surtout sous le mandat de R. Mauny et B. Terray, son Conservateur, et grâce à l’apport de l’héritage de Székély, que la Société constitua des fonds spécialisés : la batellerie, pour laquelle François Ayrault se chargea de construire un ensemble remarquable de maquettes ; la faïence de Langeais, la seule production de qualité dans ce domaine, pour lequel B. Terray manifestait un goût proclamé et une réelle compétence.

Il faut inscrire dans cette démarche de spécialisation des fonds la création du Musée d’Arts et Traditions Populaires de Sainte-Radegonde. Les AVC ne pouvaient pas rester indifférents à la vogue des musées des savoir-faire ruraux du xixe siècle, qui se multipliaient dans la Région comme partout en France, avant de prendre la forme d’éco-musées. Mais, en prenant l’initiative de cette création, la Société satisfaisait à deux obligations : créer un lieu d’exposition spécifique pour un matériel nombreux et parfois très encombrant ; occuper utilement les caves voisines de la chapelle qui, sans cela, seraient restées vides. L’association d’un site archéologique et d’une exposition de techniques anciennes peut paraître surprenante. Reconnaissons, cependant, que le troglodytisme qui leur est commun la rend viable, pour peu que le visiteur l’accepte comme le témoignage tardif de l’art des hommes à investir pour leur habitat les lieux les plus hétéroclites.

C’est pour les mêmes raisons que fut décidé le déménagement des collections concernant la batellerie dans un Musée aménagé à cet effet. Le manque de place, mais aussi l’inadaptation d’une salle juchée au 2e étage d’un immeuble ancien, éloigné de la rivière, à la présentation d’objets qui renvoient à tout moment à celle-ci justifiaient cette mesure. J’ajouterai que j’étais particulièrement favorable au fait de confier ces collections et le soin de les présenter et de les gérer à des personnes compétentes, qu’il s’agisse de l’architecte ou des conservateurs désignés à cet effet. L’échec momentané de ce projet ne doit pas nous faire dévier de cette ligne, car ses causes sont à chercher ailleurs.

À l’origine, le fonds ne comprenait que des objets appartenant à la Société, à l’exclusion du dépôt d’Azay-le-Rideau déjà mentionné. En 1947, la Mairie lui confia le Portrait de Rabelais d’Eugène Delacroix, qui fut restauré à Tours en 1956. La Chape de Saint-Mexme vint le rejoindre plus tard (1975). Parmi les fonds originaux, il faut citer aussi celui que se chargea de décrire et d’enrichir Gérard Cordier, à savoir le fonds préhistorique [très bientôt, il va faire l’objet d’un inventaire publié sous forme de volume, dans le cadre du centenaire].

La présentation des collections a toujours été le fait de Conservateurs bénévoles. On n’a pas gardé d’images du Musée primitif, aussi est-il difficile de se faire une idée exacte de l’aspect qu’il présentait au visiteur. En revanche, on possède un ensemble de diapositives intéressantes, dues à Gabriel Marteau (dont je vous présenterai un bref échantillon tout à l’heure), qui témoigne assez bien de la conception que défendirent des personnalités telles que James C. Richard et Noémie Marquis, qui se chargèrent de l’aménagement du 81, rue Voltaire.

Le recours à des expositions temporaires a été rare jusqu’à une date récente. Généralement, elles étaient inspirés par la nécessité de commémorer une date ou un personnage historiques : 4e centenaire de Rabelais (1953), commémoration de la mort de Charles VII (1961), fêtes johanniques de 1979. Mérite une mention spéciale celle qui fut préparée en 1974 sous la direction du Dr Bisson, à laquelle Chinon fut conviée de participer au titre de ville d’art et d’histoire (désignation avant la lettre), et qui obtint un prix régional et le droit d’être exposée à la Conciergerie à Paris. Le Dr Bisson y consacra un panneau à la dénonciation du projet d’aménagement urbain de l’architecte Vitry, qui défonçait une bonne partie de la vieille ville, afin de faciliter la circulation automobile. Les AVC s’étaient vigoureusement engagés dans le combat contre ce projet néfaste.

B. La Bibliothèque

La bibliothèque, aujourd’hui sans conteste un des fleurons de notre Société, eut un début d’existence pour le moins discret. Il est rare qu’elle fasse l’objet d’une mention spécifique dans les délibérations. Ce n’est qu’à partir de 1927 que les dons d’ouvrages sont mentionnés, à la suite des dons faits au Musée. Pour en savoir plus, il faut se reporter au cahier d’entrées, où les publications côtoient les objets muséographiques. Dans le Bulletin, on ne fait état que des dons d’archives importants : papiers Ruelle, 1er sous-préfet de Chinon (1927), documents réunis par le Dr Faucillon (1946), Papiers Piquet (1956), fonds Jeanne d’Arc offert par la R.-P. Scott (1975), bibliothèque de Székély (1978), à quoi j’ajouterai les Papiers Mauny et Papiers de Grandmaison (1992).

En 1967, A. Boucher déplore l’absence d’un bibliothécaire et le fait que les fonds ne soient pas classés méthodiquement. Veyret-Logérias s’en charge à partir de 1968 mais n’achèvera pas sa tâche. Il faudra attendre les années 1980 pour qu’une véritable réorganisation soit entreprise, d’abord par Luc Boisnard, aidé de M.-F. Leterreux, puis par Oscar Tapper, en 1988. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le poste de Bibliothécaire est régulièrement pourvu d’un titulaire et qu’un budget propre lui est attribué.

L’originalité du fonds réside d’abord dans la quasi exhaustivité des collections d’ouvrages imprimés traitant du Chinonais et, plus largement, de la Touraine. Elle est due aussi à la présence de deux collections non négligeables : le fonds Rabelais, qui contient une série complète de revues ainsi que des publications rares ; le fonds Jeanne d’Arc, riche d’ouvrages relativement anciens. Il faut ajouter une collection de journaux locaux, certes incomplète mais copieuse et un fonds nourri d’archives, qui contient quelques perles rares. Cette description montre que dans la constitution des collections le hasard a joué un certain rôle mais, qu’à un certain moment, le fonds était assez riche pour qu’on puisse envisager de former des séries homogènes et aussi complètes que possible. Ce fonds n’est pas dépourvu non plus d’un certain éclectisme dont témoignent les échanges de publication avec des sociétés sœurs, entrepris dès 1918, qui dénote chez les responsables de l’époque la volonté de ne pas se limiter à la Touraine stricto sensu.

C. Publications

On ne saurait clore cet exposé sans faire état même rapidement des publications réalisées par la Société. L’essentiel de ce chapitre sera occupé par le Bulletin.

Il constitue à la fois l’organe de liaison avec les adhérents et le support de diffusion des résultats des recherches menées localement. Sa publication est donc essentielle à un bon fonctionnement de la Société. Le Bulletin donne une image précise de la vie de la Société, non seulement par son contenu mais aussi par sa régularité. Pourtant la périodicité de sa publication est loin d’être exemplaire. Les responsables en sont conscients et s’en excusent régulièrement. On comprend leur gêne, car la remise du Bulletin est, en fin de compte, la seule contre-partie tangible du versement de la cotisation par les adhérents.

De tout temps, son impression correspond au principal poste budgétaire de dépenses, celui qui puise le plus largement dans le produit des cotisations qui constituent, de leur côté, l’essentiel des recettes. C’est ce qui explique que dans certains cas, rares heureusement, on dut recourir à l’expédient de publier une n° biennal, en même temps que l’on percevait deux cotisations (1945-1948).

La formule évolue au cours des temps, sous l’influence du contenu, qui s’enrichit de plus en plus, et de l’évolution des domaines d’intérêt. Mais l’on tend, au fur et à mesure que les années passent, à créer des rubriques qui se retrouvent d’une année à l’autre, de même que l’on veille à standardiser certaines d’entre elles (Vie de la Société, Chronique archéologique, etc.). Le caractère de publication scientifique s’accentue aussi, avec l’apparition d’une rubrique bibliographique (Notes de lecture), celle de numéros thématiques et la publication de textes rédigés par des collaborateurs occasionnels et extérieurs.

Pour compléter le chapitre des publications, il faudrait citer quelques ouvrages, dont le précieux Répertoire numérique des Archives Municipales de Chinon (Skorka, Thibault, 1983) et l’ouvrage de Stephan Meller, sur Chinon pendant la Révolution (1989), ainsi que la gravure sur Chinon au 18e siècle et la carte-postale tirée du Cortège royal de Sainte-Radegonde.

Conclusion

Lors de notre journée commémorative du 5 décembre dernier, je tentai de replacer cet événement dans un contexte plus général : « La fondation de notre société est redevable d’une tradition, celle des Sociétés savantes, qui fleurit à partir de la moitié du xixe siècle (à la suite des Académies du siècle précédent, mais en se démarquant aussi d’elles) et connut un grand essor à la fin de ce siècle. Mais elle est aussi une conséquence directe d’une loi fondamentale de notre République, dont nous avons récemment commémoré le centenaire, la loi de 1901 sur les Associations. Cette conjonction s’est traduite, dans le Chinonais, par la création d’une société chargée de défendre et de faire connaître ce qui ne s’appelait pas encore le patrimoine, mais qui correspondait assez exactement à l’objet que ce terme recouvre aujourd’hui : les monuments, les paysages, ainsi que les grands moments et les grands personnages de son histoire ».

À l’issue de ce survol d’un siècle d’activités, il est permis de dire que la sauvegarde du patrimoine est, de tous les domaines dans lesquels notre Société eut à intervenir, celui qui la mobilisa de la façon la plus constante et celui dans lequel elle se montra la plus efficace. Rien que pour cela, il est permis de dire que son action fut utile et même nécessaire. Je n’aurai garde, cependant, d’oublier le travail quotidien, parfois obscur, non moins précieux puisqu’il a contribué à familiariser les habitants d’une région éloignée de grands centre urbains à des pratiques aussi essentielles que la fréquentation d’un Musée ou la lecture de travaux historiques. À ce titre, le Bulletin joue un rôle primordial, car il est la seule publication régulière locale, en dehors de la presse quotidienne, et le seul lien écrit direct avec le passé.

Mais, en définitive, l’essentiel est la communauté d’individus qui se retrouvent, à l’image de l’assemblée que vous formez ce soir, autour d’activités régulières, pour s’enrichir mutuellement tout en entretenant la mémoire d’une histoire qui leur est chère, et qui leur apprend à mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent.

8 juin 2006

Allocution pour le concert du centenaire des Amis du Vieux Chinon

Membres d’honneur : sous-préfète ; Maire ; Conseiller Général

Allocution prononcée le 5 décembre 2004 avant le concert donné par l’Ensemble Jacques Moderne, qui inaugura les manifestations de l’année du centenaire des Amis du Vieux Chinon.

 

Mesdames, Messieurs

 

Je demande à mon ami Claude Viel, Président des Amis de Rabelais et de la Devinière et co-organisateur des manifestations de cette après-midi et aux adhérents de cette société ici présents, l’autorisation de m’adresser à vous tous au nom des Amis du Vieux Chinon, afin que je puisse évoquer en quelques mots l’événement mémorable que va représenter pour nous cette année 2005.

C’est en effet au mois de janvier 1905 que quelques personnalités chinonaises fondèrent Les Amis du Vieux Chinon, société locale de Chinon et de son Arrondissement. Quelques hommes de l’art, médecins et pharmaciens, quelques hommes de loi, des professeurs, des entrepreneurs ou des rentiers (on les désignait sous le vocable de « propriétaires ») accompagnèrent le Docteur Faucillon, premier Président, dans une entreprise qui s’avéra par la suite particulièrement fructueuse. Je ne retracerai pas ici l’histoire de ce siècle d’existence ; cela m’obligerait à vous entretenir trop longtemps (je consacrerai à ce sujet une conférence prochaine). Je me contenterai aujourd’hui de vous livrer quelques réflexions, afin de rendre un bref hommage à tous ceux qui ont œuvré à la réussite de cette entreprise.

La fondation de notre société est redevable d’une tradition, celle des Sociétés savantes, qui fleurit à partir de la moitié du xixe siècle (à la suite des Académies du siècle précédent, mais en se démarquant aussi d’elles) et connut un grand essor à la fin de ce siècle. Mais elle est aussi une conséquence directe d’une loi fondamentale de notre République, dont nous avons récemment commémoré le centenaire, la loi de 1901 sur les Associations. Cette conjonction s’est traduite, dans le Chinonais, par la création d’une société chargée de défendre et de faire connaître ce qui ne s’appelait pas encore le patrimoine, mais qui correspondait assez exactement à l’objet que ce terme recouvre aujourd’hui : les monuments, les paysages, ainsi que les grands moments et les grands personnages de son histoire.

J’y vois tout un symbole : les Chinonais découvraient le besoin d’approfondir leurs connaissances sur l’histoire locale en même temps qu’ils faisaient l’apprentissage de la vie associative, si malmenée par les régimes autoritaires qui ont dirigé notre pays pendant la majeure partie de ce siècle. Ces deux intérêts vont de pair ; ce sont deux façons concommittantes de participer à la vie de la collectivité, deux faces complémentaires d’un civisme exigeant.

Mieux connaître notre histoire, protéger et faire connaître les vestiges qu’elle a laissés dans notre environnement, cela paraît aller de soi aujourd’hui, puisqu’aussi bien, toutes les administrations publiques, de l’État à la commune, s’en préoccupent et se sont dotées de services spécialisés. À l’époque où furent créés les Amis du Vieux Chinon, elles étaient très négligées, et c’est tout à l’honneur de sociétés telles que la nôtre de s’en être chargé pendant des décennies. Nos fondateurs et ceux qui ont repris le flambeau à leur suite méritent qu’on leur rende hommage. C’est ce que fit la Nation elle-même lorsqu’en 1916, en pleine Grande Guerre, elle nous accorda le titre envié de société déclarée d’utilité publique.

Le changement des mentalités et des pratiques concernant le Patrimoine qui caractérise les cinquante dernières années risquait de rendre caduques les sociétés d’histoire locale ou du moins, risquait de les marginaliser durablement. Aux yeux des nouvelles structures mises en place, elles paraissaient obsolètes et, pour tout dire, devenaient encombrantes. De là vient cette image poussiéreuse qu’on leur applique souvent, et que rien ne justifie, sauf à considérer qu’une recherche exigeante n’a plus lieu d’être et qu’il faut sacrifier aux paillettes d’une culture télévisuelle.

Les Sociétés savantes ont fait de la résistance. Ont-elles fini de manger leur pain noir ? Certainement pas. Mais elles ont appris à s’adapter : en réduisant leurs activités à des domaines plus spécifiques ; en variant les manifestations, quitte à y insérer une dimension ludique ; surtout en imposant le respect par la rigueur de leur démarche.

C’est à cela que nous nous appliquons aujourd’hui, soucieux de nous montrer dignes d’un héritage fécond, sans épargner ni notre temps, ni notre énergie. Notre ambition est de préserver un outil qui a fait ses preuves et qui peut rendre encore d’éminents services, non seulement à nos adhérents, mais à la collectivité toute entière.

Le temps est révolu où les sociétés comme les Amis du Vieux Chinon couvraient à elles seules l’ensemble des activités liées au Patrimoine. Pour autant, aucun des domaines concernés ne leur est devenu étranger. Elles ont simplement appris à collaborer avec les nouveaux acteurs culturels locaux. De fait, c’est bien le cas de notre société. Nous entretenons des rapports suivis avec d’autres institutions qui travaillent dans des domaines proches des nôtres, tant il est vrai que nous pensons que le salut de la culture exige qu’elle soit diffusée le plus largement possible. La position des Amis du Vieux Chinon, à certaines époques, a été hégémonique ; désormais notre société aspire à fédérer les énergies, en s’appuyant sur une expérience et une infrastructure (bibliothèque, archives, documentation iconographique, fonds muséographiques) d’une exceptionnelle richesse.

En guise de conclusion, je saluerai les institutions et les personnes avec lesquelles nous collaborons régulièrement. C’est avec eux que nous avons voulu saluer cette entrée dans l’année de notre centenaire. Au nom des Amis du Vieux Chinon et en mon nom personnel, j’adresse à tous nos remerciements, et les invite à continuer à nous accorder leur confiance.

Et maintenant, saluons dans la liesse cette année mémorable en compagnie des poètes et musiciens de la Renaissance et des interprètes de l’Ensemble Jacques Moderne qui les servent si bien.